Faculté de Droit des Sciences
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MEMOIRE de DESS de DROIT FISCAL ET DOUANIER |
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Le commerce contemporain se nourrit des échanges entre sociétés de nationalités différents. Cette disparité pose de multiples contraintes d'ordre techniques, juridiques et plus spécifiquement fiscales à gérer. En effet, à ces échanges correspondent des flux financiers analysés par chaque pays selon ses propres concepts fiscaux. Ainsi la matière imposable connaît de fortes disparités : la définition de bénéfice ou de valeur ajoutée sera retenue ou non pour appliquer l'impôt. Les définitions même de ces bases imposables divergeront. Les taux d'imposition sont également très différents. La divergence des conceptions étatiques de l’impôt est parfois en porte à faux avec les intérêts de la mondialisation des échanges. Il s’agit en premier lieu de l’expression d’une souveraineté sur des sujets. Ainsi voir échapper une partie de la matière fiscale produite par ses administrés n'est-il pas une atteinte au pouvoir des gouvernants ? Cette conception archaïque reste l’un des points essentiels qui caractérise l'effectivité d'un Etat [1] face à ses pairs. Cette affirmation de la souveraineté fiscale peut aboutir à des conflits de taxation d'une même matière imposable. En outre, l’impôt reste le moyen principal de financement des dépenses liées aux charges publiques. A la notion de charges régaliennes correspondant au champ de compétence minimum de l'Etat souhaité par les libéraux du XIXième siècle s'est substitué une conception extensive où le gouvernement doit intervenir afin de favoriser une relative égalité matérielle. L'impôt joue dorénavant un rôle de ciment social par redistribution. Cet élargissement de ses compétences a un coût qui nécessite de nouvelles recettes. C’est pour ces motifs que l’Etat moderne sera tenté de rattacher le maximum de matière imposable. Au-delà de cet aspect purement budgétaire, l'Etat s'appuie sur la fiscalité afin de développer une politique économique, culturelle, d'occupation du territoire ou environnementale par le truchement d'incitations[2]ou de taxations prohibitives. Cet interventionnisme illustré par la politique néo-keynésienne de relances alternées à des périodes de maîtrise de l'inflation a connu une forte attaque idéologique durant les années 80. Une approche plus pragmatique semble actuellement se développer [3]. C'est l'arbitrage entre la notion de bien-être et de liberté individuelle, variant d’une culture à l’autre, qui justifie la sphère d'intervention de l'Etat. Il reste une tendance à l'extension du champ de compétence du pouvoir politique donc dans de plus en plus de secteurs de la société. Ces interventions nécessitent une large maîtrise des recettes fiscales. En outre, il existe une certaine concurrence fiscale entre Etats. Certains seront donc tentés d'attirer quelques entreprises dont l'activité principale se situe dans des pays tiers par une fiscalité particulièrement faible [4]. Cette stratégie est particulièrement efficace dans un contexte d'internationalisation des personnes assujetties à l'impôt [5]. Cette politique est employée par des pays en voie de développement souvent peu impliqués budgétairement dans le financement de la croissance économique ou peu interventionnistes. Ces pays accueillent donc en général de simples structures financières ou des prestataires de services, particulièrement volatiles, sans avoir à financer les infrastructures et la formation professionnelle nécessaires aux activités économiques. Ce dumping fiscal est particulièrement intéressant pour des groupes, qui sont ou qui deviendront éventuellement internationaux à cette occasion, afin de mieux défendre leurs intérêts financiers. En effet, les entreprises ont une stratégie économique du commerce intragroupe. Outre les problèmes de gestions et stratégiques, l’imposition d’un produit est considérée comme une charge intégrée aux coûts de production. Les entreprises seront donc souvent tentées de sélectionner une stratégie fiscale permettant d'optimiser les profits distribuables. Ainsi le choix d’une implantation est souvent justifié par un régime fiscal favorable[6]. Mais cette seule implantation permet en général aux groupes de ne couvrir que les marchés les plus larges : les pays développés. Or, ces derniers connaissent une fiscalité appréhendant une large matière imposable avec des taux relativement élevés. Forte est donc la tentation des sociétés de localiser les profits et de manière plus générale la fiscalité des échanges intragroupe sur des pays à fiscalité « modérée ». Au sein d'un groupe international, la mondialisation des flux permet, au travers d'échanges savamment organisés, de localiser et ainsi de faire échapper les profits dégagés par l'activité économique sur des pays à fiscalité favorable. Ce comportement est symptomatique de gestionnaires avertis recherchant l'optimisation des revenus nets dégagés par le groupe. Ainsi la tendance est forte lors d'une vente intragroupe de sursaturer la marchandise lorsque la société acquéreur est implantée dans un pays à lourde imposition. Le bénéfice qui aurait du être réalisé sur cette dernière est donc transféré à la société cessionnaire. Un gain fiscal est donc dégagé. Inversement une société cédante peut sous-facturer la vente afin de permettre d'augmenter le profit réalisé par la société plus favorisée fiscalement. Cet effet se surmultipliera si la société sous traite des transformations au sein du groupe car les flux seront doublés entre les deux entreprises liées. Le même effet peut être obtenu en multipliant les intermédiaires et les opérations. Plus difficilement contrôlable encore est la fourniture de prestations de services et de biens incorporels (marque, brevet...). La localisation de la matière fiscale au sein d’un groupe international confronte donc les entreprises et les Etats à une difficulté particulièrement ardue à gérer. L’évolution du commerce mondial ainsi que les progrès de la technique fiscale ont rendu tout particulièrement d’actualité l’imposition des échanges au sein d’un même groupe. Cela d'autant que 30 % des échanges internationaux s'effectuent par des entreprises liées au sein d'un groupe[7]. Ainsi, certains intérêts privés bien gérés pourront profiter des structures et des débouchés proposés par les pays développés tout en échappant à la contrepartie fiscale de ces avantages. Ce contexte met en exergue la nécessité pour les pays à fiscalité "développée" de se défendre contre une pratique mettant en péril leur équilibre économique et social. En effet, un Etat ne peu exposer des dépenses sans les couvrir par l'impôt ou des emprunts. L'emprunt est une mobilisation d'un pouvoir d'achat sur des recettes fiscales anticipées. Si le volume des rentrées fiscales est mis à mal par une fuite fiscale, l'Etat aura recours a une nouvelle augmentation de la fiscalité ou fera appel a une politique d'inflation. Une augmentation de la fiscalité peu à terme conduire à une baisse des recettes fiscales[8]. Ce phénomène est induit par la baisse des rendements nets des investissements plus taxés. Mais également par une évasion des capitaux et une augmentation de la fraude[9] fiscale. L'inflation est une source d'incertitude pour les investisseurs car elle peu conduire à une dévaluation mécanique d'une devise nationale. Les détenteurs de cette devise seront enclins à la garder de peur de subir des pertes financières pour perte de change. Les capitaux auront donc tendance à fuir ne permettant plus à l'activité nationale de couvrir à coût abordable son besoin en financement. Cette spirale met à mal la notion d'optimisation fiscale de l'intérêt public, tel que l'idéologie des pays développés le définit, par asphyxie budgétaire. Devant cette flibuste fiscale mettant en péril l'équilibre budgétaire national, le législateur français a mis en place un dispositif donnant à l'administration fiscale française les outils lui permettant de réintégrer à la sphère des revenus imposables les revenus dispersés par de tels procédés. L'article 57 du C.G.I. forme le fer de lance de cet arsenal. Ce texte prévoit la réintégration au résultat fiscal des entreprises implantées en France les bénéfices transférés par le biais d'échanges à l'international anormaux par des entreprises liées. Cette réintégration est tout d'abord conditionnée par l'existence d'un lien de dépendance avec une société établie hors de France ou par le contrôle d'une société hors de France. Ce lien sera caractérisé lorsque l'une des entreprises liées possède la majorité des parts sur l'autre [10]. La jurisprudence accepte une interprétation extensive en retenant une interdépendance juridique par personnes interposées lorsque les détenteurs des parts formant la majorité des associés sont membres d'une même famille. Il en sera également ainsi lorsqu'une des entreprises fait partie intégrante d'un des organes de décision de l'autre. ou encore que les administrateurs des sociétés sont les mêmes personnes. Ou lorsque qu'une entreprise tiers détient la majorité sur deux autres entreprises, la notion de lien juridique sera retenue afin de contrôler les échanges entre les dites sociétés filiales conformément au régime de l'article 57[11]. Le lien juridique retenu est donc direct ou indirect ; cette notion s'applique donc aux groupes internationaux de manière extensive. Une société ne faisant partie du périmètre d'application du régime d'intégration fiscale d'un groupe pourra donc être considérée comme liée au dit groupe en application de l'article 57 du CGI. En outre, la jurisprudence retient la notion de dépendance de fait. Elle sera retenue de manière casuelle lorsque la nature ou les conditions des liens entre deux entreprises laisse apparaître un lien de dépendance. Cette définition d'apparence sibylline doit être illustrée par des décisions à même de donner du relief à notre précédent propos. · CAA Lyon, 4ème Chambre, 3 avril 1996, n° 93-1194 : une société étrangère d'un même groupe ne disposant de locaux, ni de personnel propre, les moyens matériels utilisés étaient ceux de la société française. Ces constatations avaient d'ailleurs été effectuées par des agents des douanes puis reprises par l'administration fiscale. · CE, 22 mars 1983, n° 75-326, RO p 226 : une société étrangère fixait contractuellement les prix d'acquisition et de cession d'une société française. Cette dernière était redevable d'une forte redevance pour usage de la marque dont était détentrice la société étrangère. L'immixtion dans la gestion était d'autant plus évidente qu'elle devait se justifier de son activité. · CAA Nancy, 11 mars 1993, n° 92-227 ,RJF 6/93, n° 803 : Immixtion sur la gestion de la société d'un groupe sous la menace d'une mise en liquidation. Ces cas montrent le caractère particulièrement flagrant de l'intervention d'une société sur la gestion d'une autre. L'une des entreprises se comporte de sorte que l'on peut l'assimiler à une société exerçant juridiquement les pouvoirs qu'elle détiendrait sur l'une de ses filiales. Ainsi le simple fait qu'une société réalise la majeure partie de son chiffre d'affaires ne constitue un lien de dépendance de fait[12]. La condition de lien de dépendance est donc une question de fait que l'administration fiscale a la charge de démontrer afin de pouvoir appliquer un contrôle des échanges au sein d'un groupe de sociétés liées internationalement. Par exception l'administration fiscale sera dispensée de cette charge de la preuve si le cocontractant est établi dans un pays à fiscalité privilégiée au sens de l'article 238 A du Code Général des Impôts (CGI). L'administration devra toutefois démontrer le caractère privilégié du régime fiscal du pays tiers. L'instruction administrative du 26 juin 1975 pose les principes méthodologiques de la comparaison des fiscalités. Cette appréciation se fait in concreto, c'est-à-dire par comparaison de la pression fiscale que subit l'entreprise dans les pays tiers et la France pour l'opération contrôlée. Un avantage fiscal de l'ordre d'un tiers suffirait à apporter une présomption du caractère privilégié de la fiscalité d'un pays. Il est intéressant de préciser que s'agissant d'une question de fait, le contribuable ne peut pas soulever tardivement devant le Conseil d'Etat le moyen s'appuyant sur la carence des services fiscaux quant à l'administration de la preuve du caractère privilégié du régime fiscal étranger[13] En second lieu le contrôleur doit faire la preuve de l'anormalité de l'échange pour appliquer un redressement sous le motif de transfert de bénéfices[14]. Le contribuable ne subit alors qu'une simple présomption d'anormalité de l'échange. L'entreprise peut donc combattre ladite présomption de transfert en apportant la preuve du caractère normal de l'échange critiqué par l'administration fiscale[15]. La notion d'échange anormal est complexe à appréhender d'autant qu'il s'agit d'une question de droit s'appuyant sur des faits[16]. La normalité demande des éléments de comparaison. Sont-ce de simples marchés internationaux bien identifiés comme les matières premières? Ceux-ci peuvent être particulièrement difficiles à caractériser en cas de multiplicités de marchés[17]. Plus complexe encore est la détermination du prix d'un bien ne connaissant de véritable cotation mais faisant l'objet d'une négociation au gré à gré. L'existence de liens entre les entreprises ne rend-il pas douteux que ces échanges soient conclus dans des conditions assimilables à des négociations entre sociétés indépendantes ? La maîtrise des prix de transfert est donc d'un intérêt fiscal particulièrement important pour les entreprises liées. Elle permet d'éviter les tracasseries et le coût d'un redressement mais également, en délimitant bien la frontière de la normalité, d'optimiser sa gestion fiscale. Tout d'abord, nous aborderons cette problématique par l'étude des textes nationaux et internationaux en vigueur et mieux cerner ainsi le processus de formation des prix de transfert. D'autre part, nous étudierons les sanctions attachées à l'article 57 du CGI mais aussi la procédure amiable mise à sa place entre Etats afin d'éviter les conséquences dommageables d'une double imposition pouvant apparaître lors d'un redressement et résultant des divergences des législations nationales. ---------------------------------------------------------------------------------------------- [1]
Jean-Baptiste Geyffroy "Grands problèmes fiscaux
contemporains" Col Droit Fondamental - Droit Financier Éd PUF
1993 p 31 et s [2] Pierre Beltrame "La fiscalité en France" Col Les fondamentaux Éd Hachette 1997 p 183 [3] Maurice Lauré Science Fiscale Éd PUF 1993. L'auteur parle de l'optimisation d'un pan de l'intérêt général (fiscal).L'Etat devant dorénavant se soumettre aux lois économiques pour assurer une intervention efficace. [4] Ministère de l'Economie, des Finance et de l'Industrie "Communiqué du 27 avril 1998" Revue de Droit Fiscal 1998 n°20-21 page 653. Cite la recommandation de l'OCDE de 9 avril 1998 traitant du problème des régimes fiscaux déloyaux et des solutions à apporter. [5]Jean-Pierre Jarnevic "Droit Fiscal International" Col Finances Publiques Éd Economica 1986 p 2 [6] Michel Houdebine et Jean-Luc Scheinder "Mesurer l'influence de la fiscalité sur la localisation des entreprises" Economie et prévision n°131 1997-5 p 47-64; Etude statistique nationale transposable à l'international. [7] Gilbert Tixier "Droit Fiscal International" Col Que sais-je ? Éd PUF 1995 p 98 [8] Jean-Baptiste Geffroy "Grands problèmes fiscaux contemporains" Col Droit fondamental Éd PUF 1993 p 69 à 74 et p 481. Un seuil d'imposition trop élevé aurait pour effet sur le plan micro-économique de favoriser les loisirs sur les activités de production. Ce seuil a un caractère idéologique évolutif. [9] Pierre Bertrame "La fiscalité en France" Col les Fondamentaux Éd Hachette 1997 p 185. L'auteur assimile la fraude fiscale à une résistance individuelle à l'impôt. [10] CAA Paris 2 février 1992 n°77015 RJF 3/92 n°314 CE 25 janvier 1989 n°49847 RJF 3/89 [11] TA Lyon 25 avril 1990 n°86-9508 et 86-10150 Droit Fiscal 1991 n°12 com 619 [12] CE, 29 mars 1978, n°5125, RJF 5/78, n°227 [13] CE 8ième et 9ième sous-sections 10 mai 1996 n°128-269 DF 1996 n°51 p 1595. En l'espèce la concluante reprochait à la CAA de n'avoir soulevé d'office l'absence de preuve. Le CE souligne qu'aucune contestation mais aussi aucun moyen de preuve apporté alors par la concluante ne permettait de contester le caractère privilégié de la fiscalité Suisse relative à l'IS. Monsieur le commissaire du gouvernement, F. Loloum, justifie cette solution dans ses conclusions par le fait que la comparaison des fiscalités est un exercice non dénué d'ambiguïtés et d'incertitudes. L'absence de contestations rend donc irrecevable le moyen devant le CE. Cette solution, ainsi préconisée, permet d'éviter la tentation que certains contribuables auraient de critiquer des décisions sur ce point afin de voir automatiquement casser une décision au fond défavorable. [14] CE, 7ième, 8ième et 9ième sous-sections, 27 juillet 1988, n°50-020, DF 1988, n°49, com 2202 CAA Nancy, 2ième chambre, 6 juillet 1995, n°92-110 et 92-272, DF 1996, n°3, com 27 [15] CE, 8ième et 9ème sous-section, 16 juin 1993, n°70-446, DF n°32-33, com 1641 CAA Paris, 2 ème chambre, 8 juillet 1997, n°93-572, RDF 1998, n°24, p 786 [16] CE; 7ème, 8ème et 9ème sous-sections; 27 juillet 1988, n°50-020, DF 1988, n°49, com 2202 [17] "les transferts indirects de bénéfices entre sociétés interdépendantes. Droit belge et comparé." Bibliothèque de l'école supérieure des sciences fiscales (Bruxelles) 1976 p 282 |