Faculté de Droit des Sciences
Economiques et de Gestion de Rouen

 

Année
1997 - 1998

 

MEMOIRE de DESS de DROIT FISCAL ET DOUANIER

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Double imposition
Conclusion
Remerciements Bibliographie / Lexique des abréviations

 


DÉFINITION DES PRIX DE TRANSFERT

PARTIE I

DÉFINITION DES PRIX DE TRANSFERT

Les prix de transferts soulèvent des difficultés pratiques résultant de la dimension à prime abord abstraite de ce concept mais aussi du caractère international de des échanges qu'ils régissent. Il est donc nécessaire de maîtriser les normes nous permettant de mieux appréhender la matière.

Nous étudierons donc les normes applicables aux prix de transferts. Tout d'abord nous aborderons les principes et les méthodes préconisés par l'OCDE en matière de prix de transferts. Puis nous attacherons notre étude sur la conception en droit positif français des prix de cession interne.

TITRE I : La convention OCDE

TITRE II : Les prix de transfert en droit positif français

Titre I : La convention OCDE

L'OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) est une organisation internationale à vocation économique qui associe 25 pays[1] jouant un rôle prépondérant dans le commerce mondial. Son but est de promouvoir le commerce international. Les problèmes d'insécurité juridique ou de double imposition posés lors de transactions intragroupe ne pouvaient donc échapper à sa sagacité. C'est par voie d'une convention que cette organisation a su poser les bases permettant de définir et d'harmoniser les éléments déterminants dans la définition des prix de cession interne.

Ce système s'appuie d'une part sur un principe de comparaison de prix à partir d'éléments externes que sont les prix de marchés ou prix de transfert. La notion de prix de transfert est une théorie de reconstitution des conditions des marchés de pleine concurrence. D'autre part, dans le prolongement de cette convention et de manière subsidiaire, des méthodes de formation des prix de transfert sont proposées au sein de travaux complémentaires.

Chapitre I : La convention OCDE et les textes accessoires

Chapitre II : les méthodes de détermination des prix de transfert proposées dans les cahiers OCDE

Chapitre I :

LA CONVENTION 1977 ET LES TEXTES ACCESSOIRES OU LES PRIX DE TRANSFERT : UNE EXÉGÈSE THÉORIQUE DÉGAGÉE PAR L'OCDE

La convention de 1977 n'a pas pour objet de traiter de manière spécifique les prix de cession interne. C'est dans un cadre plus général que le problème est évoqué.

Cette convention est une convention modèle en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune afin d'éviter le problème posé par la double imposition des contribuables en situation de conflit de compétence fiscale. Plus spécifiquement, au chapitre III dénommé imposition des revenus, elle traite du problème de localisation du bénéfice imposable à l'occasion des cessions internes. Mais la facilité apparente de mise en oeuvre d'une règle abstraite se confronte à certaines difficultés de mise en oeuvre. Des travaux complémentaires du Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE nous éclairent donc sur les éléments nous permettant une application harmonisée du texte de référence.

Section I : Du principe de base de pleine concurrence à la théorie des prix de transfert

L'article 9.1. traite des relations entre entreprises liées. Il propose un critère objectif, enrichi de commentaires, pour préserver les intérêts des différents membres de cette organisation. Mais nous pouvons nous interroger sur la valeur juridique de cette convention type.

§ 1 Le principe de libre échange

L'article 9.1 de la convention énonce un principe de résolution des conflits de compétence fiscale que des textes complémentaires précisent.

A L'article 9 de la convention

L'article 9.1. précise la notion d'entreprises associées. Puis il énonce que "dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre entreprises indépendantes, les bénéfices qui sans ces conditions, auraient été réalisés par l'une des entreprises mais n'ont pu l'être en fait et à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence." En remarque préliminaire, il est nécessaire de préciser que ce texte, au-delà de préconiser une méthode, exclut un critère qui aurait pu être retenu. Il précise que l'on ne doit pas distinguer s'il y a eu négociation ou détermination unilatérale du prix. Ainsi une hypothétique négociation, entre entreprises associées sans que le lien n'entre en jeu pour la détermination du prix, ne permet pas d'exclure l'absence de transferts de bénéfices. Sur ce plan les groupes sont donc soumis à un régime plus rigoureux que le seraient des entreprises indépendantes. Cette solution se justifie par le caractère ambigu des liens entre les sociétés d'un groupe qui laisse présumer la recherche d'une "optimisation" fiscale internationale. Ainsi, cette disposition protège les entreprises indépendantes de distorsions de concurrences résultant d'évasions fiscales protégées par des négociations formelles.

La méthode préconisée est la comparaison des prix pratiqués avec ceux que l'on aurait pratiqués en absence de liens entre les sociétés. L'expression "auraient été réalisés entre entreprises indépendantes" désigne directement le principe de comparaison permettant de déterminer s'il s'agit de transfert de bénéfices : le prix de pleine concurrence. Les conditions d'un échange sont considérées comme fiscalement acceptables lorsque les protagonistes ont respecté les principes du libre échangisme en suivant les lois du marché. Ainsi un prix pratiqué hors conditions du marché serait susceptible de conduire au redressement de l'impôt sur les sociétés dû.

En outre, le principe de libre échange est en cohérence avec les principes défendus par l'OCDE. Ainsi les pays membres entendent soumettre leurs contribuables à cette règle à laquelle ils adhèrent. Ce critère est donc une solution cohérente aux problèmes de double imposition. Le respect du critère proposé par les Etats devrait permettre d'éviter sur une base objective les conflits de taxations.

B Les textes complémentaires

L'application de ce principe d'apparence simple a révélé, devant la diversité des situations équivoques, des difficultés pratiques. C'est donc au fur et à mesure de l'émergence de complications que le Comité des Affaires Fiscales a fixé les lignes directrices permettant une bonne détermination des prix de pleine concurrence. Il s'agit de différents commentaires et rapports[1]

Ces travaux ont été remplacés par un cahier nommé "Les principes applicables en matière de prix de transfert à l'attention des entreprises multinationales et des administrations fiscales" édité en 1995. Ce document, sous forme de classeur, est évolutif. En 1996, il a déjà fait l'objet d'un ajout concernant les règles applicables en matière de cessions d'actifs incorporels et de services intragroupes. Les règles régissant les biens corporels sont transposables mutatis mutandis aux biens incorporels et aux services [2]. Ce texte précise les modalités d'applications particulièrement complexes dans ce type de transactions.

Cette stratification de textes reprend le long des différentes explications le principe de libre échange. Ces principes sont fondamentaux pour appréhender correctement la théorie des prix de transfert.

§ 2 La valeur juridique :

La valeur juridique du principe de libre échange préconisé par l'OCDE en matière de prix de transfert est n'est pas immédiatement perceptible.

A Une absence de caractère normatif au sens strict du terme :

La convention 1977 est un texte de droit public international susceptible d'engager les signataires. Toutefois, il s'agit d'une convention type ayant pour vocation d'insuffler une règle harmonisée de traitement des prix de transfert au sein des conventions bilatérales signées entre Etats. Par conséquent, les Etats parties à ce texte ne sont pas liés entre eux par le principe énoncé pas l'article 9.1 Les principes dégagés par les documents cadres de l'OCDE n'ont pas plus de caractère contraignant. Ils ne forment qu'une proposition d'une approche du principe de libre échange en matière de prix de transfert.

Par conséquent, les administrations nationales et les tribunaux ne sont pas plus directement liés envers les justiciables par les textes OCDE. En revanche, il est nécessaire de souligner dès à présent qu'en France l'article 57 du CGI est un filtre légal compatible avec les dispositions de la convention type de 1977 ainsi qu'avec les documents complémentaires émis par le Comité des Affaires Fiscales de L'OCDE. Il en est de même dans les différents pays membres de cette organisation[1]. De même, certaines conventions bilatérales usent de manière plus ou moins directe de ce principe de résolution des conflits de matière imposable[2].

L'absence de valeur contraignante, ne permet de donner stricto sensu une valeur normative à ce texte. Mais la dimension plurinationale lui donne une grande valeur pratique particulièrement intéressante pour les opérateurs du commerce international. Les Etats ne peuvent l'ignorer sans mettre en péril une sécurité juridique indispensable au développement des échanges.

B Des documents de référence servant de base d'interprétation

Les administrations fiscales utilisent les principes OCDE dans l'application des textes nationaux en matière de prix de transfert. Quant aux tribunaux français, ils s'inspirent des principes dégagés dans la motivation de certaines décisions. Cette jurisprudence permet de trouver des solutions harmonisées avec des juridictions étrangères. Cette prise en compte la dimension internationale du commerce évite des situations de double imposition particulièrement dommageables.

Ces documents servent donc au sein des groupes de référants dans la politique des prix de cession intragroupe. D'une part, a priori, les entreprises liées peuvent mettre en oeuvre des accords écrits. Il s'agit de contrats cadres déterminant les conditions générales de formation des prix de cession interne. Des contrats spécifiques à chaque opération mettront en relief les conditions spécifiques nécessaires par l'intrinsèque particularisme de tout échange pris dans son individualité. Le respect dans ces documents des principes dégagés par le classeur OCDE réserve aux entreprises des faisceaux d'argumentations auprès des différentes administrations fiscales sur le caractère normal des prix de transfert. Cet effort de rationalisation rend beaucoup plus solide toute argumentation auprès des administrations fiscales d'autant que le Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE rappelle la liberté dont disposent les groupes dans leur choix de méthodes dans la mesure où elles s'avèrent judicieuses. Ainsi plusieurs méthodes peuvent avoir été choisies en fonction des caractéristiques des contrats. Parallèlement les entreprises doivent se réserver des éléments de preuve sur l'état du ou des marchés de référence à l'époque des échanges. D'autre part, a posteriori, les groupes peuvent utiliser ces principes pour justifier des conditions dans lesquels se sont produites les échanges critiqués par une administration fiscale.

C'est pourquoi, les règles préconisées par l'OCDE forment un outil particulièrement intéressant à maîtriser pour les groupes internationaux. La préparation des documents à fournir , au préalable à toute réquisition administrative, est nécessaire. Ces dossiers doivent être en cohérence avec les règles fiscales des différentes réglementations nationales.

Section II : La mise en oeuvre du principe de libre concurrence : la théorie des prix de transfert

Les cahiers de l'OCDE préconisent des méthodes de détermination des prix de transfert[1]. Les parties à cette analyse doivent en effet s'enquérir de la validité des procédures choisies pour déterminer des prix de comparaison au regard du principe de libre concurrence. Le contexte d'une négociation interne peut intrinsèquement conduire à une distorsion des conditions économiques dans la formation des contrats en comparaison à un marché libre. Ce contexte doit donc pris en compte dans cette analyse.

§ 1 L'analyse de comparabilité

A Le choix de la méthode de comparaison

Le Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE insiste dans son classeur sur le caractère essentiel de l'analyse de comparabilité. C'est à cette phase que l'on détermine le caractère opérant de la méthode de formation des prix de cession. Cependant, pour qu'une cession soit comparable encore faut-il que les caractéristiques économiques de l'opération soit suffisamment proche des éléments de comparaison

Un contrôle exhaustif des éléments divergeants, pouvant rendre peu concluante toute comparaison, doit être établi. De fortes différences rendraient caduque toute comparaison. Pour éviter de telles distorsions, il est nécessaire de se rapporter à la manière dont une société indépendante se comporte pour déterminer les conditions économiques des transactions qu'elle envisage. Ainsi une entreprise non liée prendra en compte le prix, les risques supportés, la tactique commerciale et tout autre élément susceptible de modifier l'équilibre contractuel. Elle choisira, compte tenu de son appréhension du marché, les offres les plus avantageuses. Si de légères différences dans l'approche du marché peuvent facilement être corrigées pour permettre une comparaison, en revanche toute analogie serait vaine en cas d'une forte divergence. Le choix de critères d'évaluation des prix de pleine concurrence doit donc permettre une comparaison significative.

Les principaux éléments de comparabilité à vérifier sont distincts pour chaque opération. Il s'agit principalement des caractéristiques des biens ou services. Des différences de qualité ou de caractéristiques peuvent justifier de la différence de prix. La référence à un cours doit être motivée par les caractéristiques des prestations. Pour les biens incorporels, on se penchera essentiellement sur le type de l'avantage cédé mais également son étendue ainsi que la durée pour rechercher un prix de référence

La notion de prix de transfert est donc une notion à la définition plus économique que juridique. C'est pour cela que l'OCDE demande aux administrations fiscales de tenir compte de l'approche économique des entreprises et de faire preuve d'une certaine souplesse dans leur approche du phénomène.

Le Comité des Affaires Fiscales souligne le caractère souple de la notion de prix de transfert La ou les méthode(s) employée(s) conduise(nt) non pas au calcul d'un seul prix de marché mais à la détermination d'un intervalle de pleine concurrence[2]. Le prix inclus dans cet intervalle doit être considéré comme ne conduisant à un transfert de bénéfices. Afin de nous éclairer, ce document nous donne les éléments à examiner pour déterminer le caractère judicieux des méthodes de comparativité.

B Les éléments de l'analyse de comparativité

L'analyse de comparativité s'appuie sur différents critères plus ou moins performants en fonction de la nature des échanges et des avantages économiques recherchés par les parties. Sans être exhaustive, l'OCDE propose une série d'éléments permettant cette analyse. Nous pouvons les classer à partir d'une part de l'examen direct du contrat, et d'autre part du contexte dans lequel la convention a été signée

1 Les critères directement tirés du contrat

a Les caractéristiques des biens cédés

La nature des biens corporels échangés n'est pas obligatoirement fongible, ou directement comparable, avec des biens disponibles sur un marché. En effet, la spécificité ou la qualité d'un bien vendu uniquement au sein d'un groupe peut très bien ne pas connaître d'équivalents. Les raisons peuvent être très variées : un savoir-faire spécifique, un positionnement sur une niche d'un marché, etc. Les facilités d'approvisionnement et le volume des échanges peuvent également jouer un rôle important sur la détermination du prix. Certaines divergences peuvent être corrigées.

Le même phénomène existe particulièrement en matière de transactions portant sur des biens incorporels. La détermination d'un prix de pleine concurrence est d'autant malaisé que les transactions sur un droit commercial sont de nature très variée (cession ou droit seulement droit d'exploitation d'une marque, licence sur un brevet..). L'étendue de la protection, la notoriété de la marque, l'innovation technique, le volume des affaires attendues sont des éléments souvent mouvants. Ainsi, l'avantage constitué par une marque doit être analysé de manière relative en comparaison des gains qu'il présente sur le marché face à la concurrence. L'avantage sera assez faible si les habitudes de consommation d'un pays sont peu tournés vers la marchandise vendue sous ladite marque. Localement, la faible renommée d'un nom ne présentera que peu d'avantages commerciaux ; sa valeur ne s'en trouvera que réduite.

En outre, un certain secret plane sur ce type de conventions surtout en ce qui concerne les brevets. Les éléments de comparaison sont donc difficilement disponibles. En effet, les transactions portant sur des brevets correspondent à un transfert de technologie. Au-delà du monopole d'exploitation d'une invention, elles s'accompagnent d'un transfert de connaissances et de savoir-faire confidentiels. Le cédant veut donc se prémunir de toute indiscrétion pouvant profiter à la concurrence.

b L'analyse fonctionnelle

La comparaison doit tout particulièrement s'attacher à une phase d'analyse fonctionnelle des échanges intragroupe. De leurs étendues dépendent l'évaluation au prix de marché des cessions. En effet, les fonctions exercées par chaque partie à un échange sont très variées. Les prestations fournies par chaque contractant doivent donc être bien identifiées.

Cette analyse fonctionnelle peut laisser apparaître un partage atypique des fonctions. Par exemple, la prise des risques peut être inhabituelle. Ou encore, une assistance technique spécifique justifie un équilibre contractuel particulier. Les éléments principaux à vérifier sont l'imputation de la conception, de la fabrication, de l'assemblage, de la recherche et du développement, de la publicité, des transports, de la distribution, de la commercialisation[1].

L'examen de la charge des risques est un élément qui doit être considéré comme incontournable en raison des contestations qu'il peut induire[2]. Une transaction entre entreprises indépendantes laisse planer un risque difficilement mesurable. Cette imprécision constitue en elle-même un risque plus ou moins important selon le marché. Mais surtout le partage des risques entre sociétés d'un même groupe peut être atypique (risque de change, paiement, transport...). Une augmentation de la prise de risque doit sur un marché être compensée par une hausse du prix permettant de rémunérer les nouveaux aléas couverts. Les entreprises liées ne doivent pas ignorer cette règle économique. Une étude de la répartition de la charge des risques peut conduire à bouleverser l'équilibre économique d'un échange. L'administration fiscale sera alors susceptible de justifier un redressement sur ce motif. Inversement, le lien peut justifier une maîtrise accrue de certains risques (solvabilité...). Une baisse de la prise de risque justifie alors un changement des conditions économiques de l'échange.

Un partage inhabituel des fonctions induit donc des divergences qui ne permet pas une comparaison directe sur un marché de référence. Une correction devra être établie.

c Les clauses contractuelles

Un contrat conclu entre tiers comprend des clauses contractuelles délimitées expressément. Subsidiairement, on applique des règles applicables connues de tous. La convention est un arbitrage entre des intérêts individuels contradictoires et la volonté de commercer afin de tirer un profit. Il en résulte un équilibre économique pour les parties facile à identifier. Il en est bien différemment des négociations entre entreprises liées.

L'identification des différentes obligations, dont est redevable une société d'un groupe envers une autre, pose souvent des difficultés. En effet, les entreprises liées ont souvent tendance à ne pas fixer par écrit leurs conventions. Les correspondances des parties sont alors des éléments à examiner. L'exécution des obligations est également un élément à prendre en compte pour établir les termes exacts d'un contrat. La pratique de compensations est donc déconseillée pour éviter toute difficulté d'identification sur la consistance des contrats.

Mais, les obligations fixées au contrat ne sont toutes exécutées. Ce problème conduit à bien réexaminer les obligations effectivement à la charge de chacun. En effet les différentes administrations nationales peuvent s'appuyer sur la réalité des échanges pour donner l'exacte valorisation des cessions au sein d'un groupe.

Toutefois, le Comité des Affaires Fiscales insiste sur la nécessité de ne pas requalifier les termes de l'échange voulu par les concluants lorsqu'ils correspondent à des motifs économiques légitimes. Les administrations pourraient alors modifier l'équilibre économique souhaité par les parties. Les risques de double imposition se trouveraient accrus du fait que l'échange serait perçu selon une conception spécifique d'une autre administration fiscale[3]. Par exception, une disqualification est admise. Une antinomie entre la forme donnée à une transaction et sa nature économique doit ainsi être corrigée. Le Comité des Affaires Fiscales précise le référentiel qui est la nature intrinsèque du contrat sur le plan économique[4]. Les qualifications juridiques nationales ne doivent pas être prises directement comme un motif de disqualification. Une autre hypothèse serait le cas où la nature économique de la transaction n'est pas mise en doute mais que, d'une part, "les modalités de la transaction, envisagées dans leur totalité, sont différentes dans une optique commerciale rationnelle". Et que, d'autre part, l'organisation formelle de l'échange peut ici conduire les administrations à une impasse ; le caractère atypique des contrats employés peut rendre toute comparaison avec un prix de pleine concurrence impossible[5]. Une comparaison étant nécessaire, la structure idoine à la nature économique de l'échange sera retenue. L'OCDE précise que cette requalification doit être d'autant plus exceptionnelle que les entreprises associées ne sont pas confrontées aux habituels conflits d'intérêts. Il en résulte donc un foisonnement de contrats peu usités dans les négociations entre sociétés indépendantes. Enfin, cette technique de disqualification ne doit être utilisée que si elle conduit à une comparaison pertinente.

2 Les déterminants relatifs au contexte de la négociation

Si les obligations négociées par les parties sont la cause même de la négociation, il ne faut pas extraire la discussion de gré à gré de l'environnement des sociétés. Il s'agit d'une adaptation nécessaire à leur pérennité. Les entreprises s'engagent en fonction de données économiques exogènes. Ce réalisme s'exprime également par une projection dans un future plus ou moins proche du développement de l'entreprise ou du groupe.

a Le contexte économique de la négociation

Le contexte économique est une donnée particulièrement sensible dans la détermination de la notion du prix de libre concurrence. D'une part, un marché peut être particulièrement sensible aux éléments extérieurs pouvant fondamentalement rompre un équilibre et induire une confrontation de l'offre et de la demande modifiant les courts (ex : accident climatique annonçant une forte baisse des récoltes escomptées). D'autre part, il peut exister une pluralité de marchés pour une même marchandise. L'analyse de comparabilité doit alors s'attacher à identifier le marché de référence applicable à l'échange

La notion de marché n'est pas statique. Il évolue dans le temps et dans l'espace. Il faut tenir compte de l'évolution de la concurrence directe et des produits de substitutions afin de connaître l'importance de l'offre. Le pouvoir d'achat ou les habitudes culturelles des consommateurs sont des éléments essentiels pour évaluer l'étendue de la demande. Les sujétions résultant d'une réglementation spécifique peuvent conduire à un marché spécifique. Les coûts de production peuvent être également des critères pertinents. En outre, sur une même place peut exister plusieurs marchés en fonction du volume des échanges (gros, détail). Le marché n'a pas toujours un caractère mondial ; ainsi on peut identifier un marché dans le pays du cessionnaire mais également dans celui du cédant. Tous ces éléments sont à maîtriser pour déterminer le marché de référence.

b Les stratégies des entreprises

L'OCDE rappelle qu'une transaction ne doit pas être regardée comme n'ayant qu'un but économique à court terme : le profit de l'opération. La dimension à moyen et long terme retenue peut jouer un rôle non négligeable dans la conclusion des obligations. Les entreprises montent des stratégies commerciales, financières et industrielles. Ainsi, des conditions peuvent sembler diverger du marché de pleine concurrence alors qu'elles s'expliquent par le réalisme économique. Les conséquences économiques sur les échanges des différentes stratégies doivent donc prendre en compte dans l'analyse de comparativité et aboutir, lorsque nécessaire, à certains ajustements.

La définition de la politique stratégique des groupes repose sur de nombreux aspects. Tout d'abord, sa mise en oeuvre peut avoir plusieurs degrés. Elle peut se situer au niveau de l'ensemble des sociétés du groupe ou bien porter sur une seule entreprise. Dans ce dernier cas, le niveau d'implication nécessaire des entreprises du groupe pour mener à bien le plan peut être un critère intéressant à fouiller pour contrôler le caractère normal des échanges.

La définition de stratégie est une dimension du "management" dans le dessein de défendre les intérêts de ou des sociétés. Cette recherche d'optimisation touche de nombreux domaines : la pénétration d'un marché, recherche de nouveaux produits, diversification... Le critère à retenir est la défense d'un intérêt identifié. Ainsi, la pratique commune des sociétés mères de céder à conditions avantageuses à une filiale afin de s'implanter ou de défendre un marché ne doit pas être regardé comme constitutif d'un transfert de bénéfice. L'intérêt du groupe de sauvegarder ou d'élargir ses débouches est une stratégie classique, et au demeurant légitime, permettant à terme d'accroître les bénéfices. En outre, l'approche doit être casuelle pour éviter une appréhension erronée de l'échange. En l'occurrence, une minoration du prix peut être la contrepartie des coûts inhérents au lancement commercial d'un produit que supporterait la société bénéficiant des supposés avantages. Par conséquent l'analyse de comparabilité peut s'en trouver bouleversée.

Le Comité des Affaires Fiscales soulève une difficulté que connaissent les services de contrôle fiscaux. Une société peut arguer d'une pseudo-stratégie pour justifier de l'obtention par une entreprise liée de conditions ne correspondant au prix de libre échange. Par la suite, la hausse de bénéfices mise en exergue ne se concrétise pas en raison d'une réelle intention de mise en oeuvre de conquête commerciale. La diachronie entre l'obtention des termes avantageux du contrat et la réalisation des bénéfices peut poser des problèmes de contrôle en raison des délais de prescriptions. Par exception, les administrations sont donc fondées à effectuer un contrôle particulièrement pointilleux sur la mise en place de la stratégie évoquée. De même une stratégie n'aboutit pas pour chaque projet. Le contribuable n'a pas pour autant eu pour dessein de transférer des bénéfices. Le contrôle du caractère raisonnable du projet doit donc pouvoir distinguer de l'allégation fantasque d'un aléa commercial. Pour le même motif un soutien commercial exagéré dans sa durée ou dans son volume peut justifier un redressement.

c L'interventionnisme économique d'un Etat

Les Etats se réservent la possibilité d'intervenir dans les échanges pour divers motifs. Il peut s'agir de mesures de rétention économique pour des raisons de politique internationale (relation USA/Cuba, relation USA/Libye...). Plus souvent cette intervention à des motifs économiques avec des mesures de contrôle des prix ou de contrôle des changes. L'immixtion étatique dans le libre jeu de la concurrence est susceptible de décaler l'équilibre du marché. Elle devra être donc être prise en compte pour déterminer les prix de cession interne.

Mais ces politiques économiques gouvernementales ont pour effet d'abaisser les marges dégagées sur le marché interne. La préservation de débouchés peut conduire des entreprises étrangères d'un groupe à partager la charge de cette diminution des bénéfices. Il convient toutefois de vérifier qu'une société indépendante aurait pratiqué de même sur le marché. L'Etat interventionniste doit tenir compte de la baisse des marges résultant de sa politique lors des contrôles des prix de transferts. La pratique de la compensation est une solution au contrôle des changes Les compensations doivent respecter les principes de libre échange.

§ 2 Problème de l'évaluation des transactions distinctes ou combinées

Le principe de libre échange étant énoncé, les méthodes d'analyse de comparatibilité décrites, il est nécessaire d'évoquer une difficulté d'application du principe révélée par la pratique. La comparaison peut soit porter sur chaque opération prise individuellement soit porter sur un ensemble d'opérations en appliquant un critère synthétique permettant de déterminer de manière global la normalité des opérations

A Problème posé par les USA

Les services fiscaux américains rencontraient une résistance des entreprises dans la communication des éléments pour établir le prix de pleine concurrence ou "arm's length", tout particulièrement en matière de transactions concernant les biens incorporels. Pour surmonter cette difficulté les vérificateurs avaient, de leur propre chef, appliqué une analyse de comparabilité essentiellement basée sur un contrôle fonctionnel. Cette pratique était d'autant plus dommageable que sa mise en oeuvre souffrait d'une absence de directives administratives.

En 1986, la section 482 du code des impôts américain a été amendée. Il créé le concept de prix de transfert ajusté au revenu standard (commensure with income standard). Le revenu à prendre en compte serait le revenu normal et équitable compte tenu du service rendu en application du principe de libre concurrence. Le livre blanc d'octobre 1988 préconise une analyse fonctionnelle des transactions. Elle constituerait une méthode autonome qui détermine les revenus que devrait recevoir chaque partie en application d'une comparaison avec la concurrence. La notion de revenus met en avant une approche périodique de l'étude des échanges contrôlés.

Devant la critique des pays tiers, l'administration américaine propose en janvier 1992 une nouvelle approche : la méthode de l'intervalle de profit (comparable profit interval). Cette méthode applique à tous les types de transferts. Elle s'appuie sur une comparaison des profits réalisés par les entreprises du même secteur pour des transactions comparables. Ainsi on ne distingue plus chaque opération pour ne déterminer si elle se situe dans l'intervalle du prix de pleine concurrence. Il s'agit d'une agrégation de transactions comparables effectuées durant une période donnée.

B Solution préconisée par l'OCDE

Le Comité des Affaires Fiscales exprime le doute qu'il porte expressément sur la valeur de la méthode des bénéfices comparables[1]. Il précise que pour se rapprocher le plus possible du prix de pleine concurrence il faut appliquer le principe de pleine concurrence par transaction prise individuellement.

En effet, une comparaison avec les résultats de tout un secteur est peu pertinente[2]. D'une part, les modes de production et la structure financière de l'entreprise peuvent expliquer des résultats sensiblement différents alors que l'analyse fonctionnelle conclut à une forte comparabilité des entreprises. D'autre part, l'administration fiscale ne pourra prendre en compte les fluctuations du marché lors de la période de référence. Des divergences sensibles de résultats peuvent en découler.

En outre, les administrations fiscales on facilement accès aux informations relatives aux revenus des entreprises d'un secteur. Ces éléments sont moins accessibles pour les contribuables. Il sera donc dans un état de faiblesse face aux allégations de l'administration fiscale américaine.

C'est pourquoi, le Comité des Affaires Fiscales souhaite que cette méthode s'applique qu'aux relations entre Etats des USA.[3] Les opérations internationales doivent être examinées individuellement dès que cela est possible. Par exception des opérations intiment liées pourront être examinées conjointement[4].

Chapitre II :

LES MÉTHODES PROPOSÉES PAR L'OCDE

Le Comité des Affaires Fiscales a mis à la disposition des contribuables et des administrations des méthodes d'évaluation des prix de pleine concurrence. Celles-ci doivent être utilisées avec discernement selon les principes précédemment évoqués. Dès à présent, il est à préciser qu'il ne s'agit que de suggestions. Les groupes peuvent recourir à d'autres méthodes que celles proposées[1] dont ils devront se réserver des éléments justifiant leur comparatibilité.

Aucune méthode ne pouvant convenir à toutes les opérations, les sociétés doivent trouver une méthode pertinente. Subsidiairement, elles peuvent faire appel à plusieurs procédés pour obtenir un écart de pleine concurrence. C'est donc avec réalisme et souplesse qu'il faut aborder les développements qui suivent. Les méthodes proposées doivent être en adéquation avec cette approche. À plusieurs méthodes dites traditionnelles proposées par l'OCDE ont été adjointes des méthodes transactionnelles des bénéfices.

SECTION I : Les méthodes préconisées par l'OCDE

SOUS-SECTION I : Les méthodes traditionnelles

Les méthodes traditionnelles se fondent sur une comparaison avec des transactions de pleine concurrence. L'opérateur peut soit directement faire appel à un prix de marché soit reconstituer un prix de pleine concurrence théorique selon deux procédés.

§ 1 La méthode du prix comparable sur le marché (PCM ou CUP -comparable uncontrolled price-) :

Cette méthode s'attache à identifier directement un prix de référence. Toutefois, l'intérêt pratique de cette méthode connaît des limites.

A- Principe

La méthode consiste à comparer le prix d'un bien ou d'un service contrôlé aux opérations comparables réalisées entre entreprises indépendantes. Toute différence de prix met en évidence un doute sur le caractère anormal de la transaction. Le prix retenu lors du contrôle sera celui du marché[1].

Il s'agit de la méthode découlant naturellement du principe de libre concurrence énoncé par l'article 9.1 de la convention de 1977. Le critère de comparaison est le prix du marché. Le principe ne demande donc pas d'autre commentaire. Toutefois, aussi simple qu'elle semble être, son domaine d'application est spécifique.

B- Un domaine d'application spécifique

Cette méthode est particulièrement adapté aux produits tels que les matières premières ou les produits courants commercialisés en quantités suffisantes pour définir facilement un marché. Certaines précautions sont nécessaires. En particulier, il faut s'assurer que la qualité des marchandises soit homogène. En effet, il serait vain de vouloir comparer directement des marchandises aux spécificités trop différentes. Le volume des échanges joue également un rôle important. Cependant des correctifs peuvent être opérés lorsqu'ils permettent de compenser les effets des éléments de distorsion. On doit donc aborder avec prudence les conditions divergentes d'une transaction car on ne peut toujours réellement mesurer son effet sur un marché libre.

C'est pourquoi, le Comité des Affaires Fiscales propose, afin de permettre de s'assurer de la pertinence du choix du marché de référence, les deux critères alternatifs suivants. D'une part, il s'agit de l'absence de différence entre les transactions contrôlées et les transactions de référence susceptibles d'avoir une incidence sensible sur le prix de libre concurrence. Ce qui correspond en général à la fourniture de produits identiques à ceux fournis sur un marché localisé dans le même espace d'échange. D'autre part, s'assurer dans l'hypothèse de correctifs que les effets matériels des différences ont été supprimés. Cette opération est possible lorsque les conditions divergentes ont un coût bien individualisé (assurance ou fret payé par la partie qui n'aurait pas eu cette charge sur le marché). Une certaine souplesse est demandée dans l'appréciation des ajustements mais aussi dans l'utilisation de la méthode. On peut faire appel à une autre méthode pour déterminer les corrections. Ce qui importe est la possibilité d'obtenir des éléments de comparaison réalistes.

Le Comité des Affaires Fiscales exprime sa préférence pour cette méthode. Elle résulte en effet directement du principe de pleine concurrence et sa mise en oeuvre est simple. Mais l'opérateur ne doit pas pour autant ignorer que le but initial est d'obtenir une comparaison utile. L'absence de produits de même nature échangés hors groupe[2] ou le cas de cession de biens incorporels sont des illustrations particulièrement exemplaires de l'inadéquation de la PCM à identifier un marché qui n'existe pas hors du groupe contrôlé. C'est pourquoi, à défaut de marchés de référence facilement identifiables, d'autres méthodes sont à la disposition des différentes parties.

§ 2 La méthode du prix de revente ("resale minus")

A Principe

1 Une méthode de reconstitution du prix de référence

La méthode consiste à reconstituer le prix que la société cédante aurait pratiqué dans l'éventualité d'une cession à une entreprise indépendante. Pour cela, on part du prix auquel un bien a été cédé à une entreprise indépendante. Puis on retranche la marge brute applicable à l'activité. Cette marge brute représente les frais d'exploitation, de transport, de commercialisation et le coût que représente une éventuelle charge des risques ; le reliquat représentant le bénéfice. La somme obtenue après défalcation de la marge brute constitue ce que l'on assimile au prix de pleine concurrence. Ainsi l'existence d'une différence entre le prix effectivement pratiqué entre les entreprises associées et le prix reconstitué correspond à une situation de transfert de bénéfices. Le transfert de bénéfice est du montant de la valeur absolue du présent calcul. Si le montant est positif ledit transfert a été effectué en faveur de la cessionnaire Lorsque le calcul dégage une somme négative le transfert de bénéfice est en faveur de l'entreprise cédante.

A titre d'exemple, une société B liée à la société A achète à cette dernière un bien X au prix de 90. Elle revend ce bien 140 à une société tierce. Les différents coûts qu'elle a supportés lors de l'opération sont d'un montant de 10. La marge normale qu'elle pratique pour ce type de bien est de 40%. Le coût total de cette opération est de 100. Le bénéfice dégagé est de 40. Il n'y a donc pas eu ici de transfert de bénéfices. Si le prix de revente est de 120, alors que les autres conditions de cet exemple sont inchangées, un transfert de bénéfices d'un montant de 20 a eu lieu au profit de la société A. En revanche, si le prix de revente est de 160, le transfert de bénéfices est d'un montant de 20, mais cette fois-ci au profit de la société B.

2 La détermination de la marge applicable

La détermination de la marge applicable se fait de différentes manières. La plus simple est de reprendre la marge que la société applique aux produits provenant d'entreprises externes au groupe. Une analyse fonctionnelle préalable est souhaitable afin de déterminer les différences entre le rôle joué par l'entreprise auprès des entreprises du groupe et les entreprises indépendantes sur des échanges contrôlés (surtout en ce qui concerne la charge des risques). La fonction jouée peut révéler une dimension plus ou moins commerciale. Avec l'apport d'un savoir-faire commercial ou d'une marque, la marge peut s'avérer accrue. Mais également la seule prestation de plate-forme de stockage et d'expédition peut conduire à une minoration de la marge applicable. Un correctif peut donc être apporté lorsque l'analyse fonctionnelle permet de déterminer le coût des différences mis en évidence. Cette analyse fonctionnelle peut également révéler une importance particulière des prestations accessoires (marque, exclusivité...) qui joue un rôle majeur dans la détermination des prix de cession. Il faut alors porter la recherche de la marge à appliquer sur les entreprises offrant les mêmes prestations accessoires.

La marge pratiquée par une entreprise indépendante intervenant dans le même secteur peut être retenue. Toutefois le recours à cette seconde référence n'est pertinente que si les services offerts par les entreprises sont comparables. Par exemple, si l'une des entreprises stocke les marchandises, parfois de manière coûteuse, alors que l'autre n'offre pas ce service. La marge brute déterminée par l'observation d'une société tierce ne sera pas pertinente car la structure des coûts ne sera la même. Pour la même raison une analyse fonctionnelle est souhaitable.

Les activités de courtage posent moins de difficultés car elles n'interviennent pas à titre principal. Elles sont donc rémunérées par des commissions en pourcentage bien déterminées par secteurs.

Enfin, les marges par secteurs d'activités sont des éléments peu significatifs. Les produits connaissent une concurrence plus ou moins développée (produits de substitution) ou sont sur un marché plus ou moins favorable (début ou fin de vie d'un produit). Les marges doivent donc être déterminée par produits.

Les marché ne sont pas immuables. Ainsi des cours sont-ils variables et peuvent conduire à des difficultés de comparaison dans le temps. C'est pourquoi les marges doivent être calculées sur des opérations placées le plus proche possible dans le temps.

B Un domaine d'application limité

Cette méthode est applicable lorsque le bien est revendu à un tiers non lié. L'analyse part d'un prix de cession résultant d'une négociation en condition de libre concurrence C'est à partir de ce prix considéré comme normal que l'on déduit le prix qui aurait dû être pratiqué en amont. Une société servant d'intermédiaire au sein d'un groupe ne pourra pas appliquer ce système pour les cessions internes. En effet on ne peut ici partir d'aucune négociation considérée comme normale pour remonter à la cession contrôlée.

Lorsque la société cède à une filiale du groupe un bien en passant par l'intermédiaire d'une société tierce externe du groupe. Le rôle effectif de la société intermédiaire peut ne jouer aucun rôle économique effectif apportant une plus-value. Dans ce contexte, les administrations fiscales peuvent prendre en considération le prix de vente à cette société tierce et non le prix payé par la filiale[1]

Lorsque la société intermédiaire procède à des transformations substantielles des biens revendus, on ne peut pas appliquer une marge brute prédéterminée en référence à une entreprise externe. La transformation bouleverse totalement les données de l'opération économique. Là encore la négociation en aval ne peut servir de référence puisque l'application de la marge applicable à l'activité ne permettrait pas de prendre en considération les plus-values résultant des transformations. L'adjonction d'une marque peut aussi amener une forte valorisation du bien cédé. Le même phénomène est à signaler lorsque le produit est incorporé à un autre produit.

Les différences relativement peu importantes entre produits ne conduisent pas en général à des divergences de prix. On n'en tiendra donc pas compte. On n'aura donc pas recours à de quelconques correctifs.

Tous les auteurs s'accordent à considérer cette méthode comme particulièrement adaptée, à titre subsidiaire de la PMC, en ce qui concerne les opérations de commercialisation. Toutefois la structure de l'échange peut s'avérer particulièrement atypique Elle ne permet alors pas de dégager une marge brute comparable. Une autre méthode plus pertinente devra être utilisée.

§ 3 La méthode du prix de revient majoré ("cost plus")

Il s'agit d'une méthode au champ d'application bien limité. Sa mise en oeuvre répond à des principes précis.

A Principe

C'est une méthode de reconstitution du prix qui part du prix de revient auquel on applique une marge.

1 la reconstitution d'un prix de pleine concurrence

Il s'agit d'une méthode de reconstitution d'un prix théorique par l'application d'une marge brute. La différence avec la méthode précédente est le référentiel à partir duquel on procède à l'évaluation. En l'occurrence, le Comité des Affaires Fiscales prend en élément de départ les coûts de production que la société intégrée cédante supporte, auxquels on additionne un bénéfice qu'il est légitime d'attendre en fonction de l'activité et du marché.

L'élément qui rattache à la notion de pleine concurrence est la marge que la société cédante est en droit d'appliquer au regard de la pratique des concurrents. Les coûts de production sont en partie en relation directe avec les marchés d'approvisionnement extérieurs qui répondent à la loi de l'offre et de la demande.

Après l'application de la marge, on obtient un prix considéré de pleine concurrence. Une différence avec le prix de la cession contrôlée met en évidence un probable transfert de bénéfices. Les administrations seront alors fondées à redresser.

De manière plus concrète, une entreprise A veut vendre à une entreprise liée B, un bien X. Le coût de production avant commercialisation de X est de cent. Pour calculer le prix de pleine concurrence on devra appliquer la marge calculée à X. On prend ici une marge de 70%, le prix de pleine concurrence sera de X * 1.7. Le problème qu'il reste à résoudre est de calculer la marge de pleine concurrence applicable.

2 La détermination de la marge applicable et des coûts de production

a La détermination de la marge

La marge applicable est déterminée par les conditions des transactions de la société cédante avec entreprises tierces. La référence au marché est ici évidente puisque la libre négociation des parties découle directement de circonstances non entravées par des considérations étrangères à l'intérêt individuel. Mais la nature des prestations fournies peut s'avérer différente en fonction qu'il s'agisse de fonctions concernant des entreprise intégrées ou non. Dans ce contexte, une analyse fonctionnelle peut permettre de déterminer des correctifs utiles à toute comparaison.

La marge pratiquée par une entreprise tierce du secteur peut également être prise en comparaison Un contrôle de la comparatibilité des conditions des transactions devra alors être envisagé. En effet, soit l'entreprise contrôlée, soit l'entreprise tierce peut avoir mis au point des procédés de fabrication plus efficaces. De même, l'étude des structures des entreprises peuvent conduire à constater des bases de coûts de production divergentes au niveau des frais fixes ou des frais variables. L'étude des différentes dépenses de fonctionnement (frais financiers, coûts de la main-d'oeuvre, frais de recherche exposés...) permet de déterminer la comparabilité de la marge retenue avec celle de la société liée. Des correctifs pourront alors être mis en place. À défaut, l'inefficience de la marge de référence doit être envisagée. La comparaison doit également intégrer les divergences de règles comptables qui peuvent porter sur l'évaluation des stocks, des immobilisations, des amortissements ou tout autre élément. Afin d'harmoniser le calcul des marges, le Comité des Affaires Fiscales conseille de distinguer les dépenses résultant directement de la production, comme les matières premières ou la main-d'oeuvre, des coûts de production indirects (équipement) et des frais d'exploitation (administratif et frais généraux). Les frais d'exploitation sont à retrancher pour dégager une marge brute comparable. Lorsque les dépenses d'exploitation prennent une certaine importance, elles doivent être intégrées au calcul de la marge qui sera dite "nette". La marge nette est un critère considéré comme très lourd à utiliser car il demande un travail de collecte de renseignements et d'analyse beaucoup plus poussé. Les entreprises ont difficilement accès aux renseignements sensibles des concurrents permettant de déterminer leur marge nette. Par conséquent, le critère de la marge brute est considéré comme suffisant. De même, la détermination de la marge nette au sein de la société fournisseur peut demander une comptabilité analytique très complexe à mettre en oeuvre.

Des circonstances peuvent faire varier les bénéfices réalisés sur un marché (surproduction, pénurie, météo...). Ces événements jouent donc un rôle important dans les marges réalisées. La détermination de la marge doit par conséquent être effectuée par observation de plusieurs exercices.

b La détermination des coûts de production

La détermination des coûts se fait en principe selon la méthode des coûts historiques. Pour éviter une trop forte influence des variations des cours des approvisionnements, il est conseillé de faire une moyenne sur une période raisonnable.

L'identification des frais généraux ainsi que certains éléments comme la main-d'oeuvre posent un problème de répartition lorsque qu'on est en présence d'un site couvrant plusieurs productions. Le même problème se pose lorsque la société cessionnaire est une société supportant une partie des frais généraux. Il s'agit en général de sociétés mères assurant une partie des charges administratives. Il est alors opportun de faire appel aux seuls coûts variables pour procéder à la reconstitution du prix de pleine concurrence.

Lors d'accord à long terme portant sur la livraison ou l'achat de biens ou services au sein d'un groupe, les parties peuvent convenir de dispositions spécifiques d'évaluation du coût de production. Les intérêts de chaque contractant doivent être préservés notamment lorsque la fluctuation des cours d'approvisionnement varie.

B Un champ d'application spécifique

Cette méthode demande la mise en place d'une comptabilité analytique relativement poussée. Elle constitue la dernière méthode transactionnelle qui nous est proposée à défaut. Elle convient particulièrement aux échanges comme la vente de produits semi-finis auxquels on ne peut rattacher de marchés. En effet, l'absence de transaction avec un tiers ne permet pas d'utiliser la méthode du prix de revente. Pour les motifs identiques, elle est adaptée aux contrats de sous-traitance.

Certains accords à long terme intragroupes connaissent les mêmes difficultés de comparaison. Il s'agit particulièrement de contrats de livraison ou d'achat de biens ou de services. La méthode peut être également opportune en cas d'utilisation d'installations communes.

Sous-Section II : Les méthodes transactionnelles de bénéfices

Les méthodes transactionnelles des bénéfices partent des profits générés lors de transactions entre entreprises liées. L'examen porte sur la répartition des produits des cessions. Elles ne sont considérées comme pertinentes que lorsqu'elles permettent de déterminer un prix de pleine concurrence réaliste. C'est-à-dire qu'elles permettent de reproduire des conditions contractuelles générées lors d'une négociation entre sociétés indépendantes.

Ce rattachement au principe énoncé par l'article 9.1 de la convention de 1977 est validé par le prisme d'une analyse de comparatibilité adéquate. Des méthodes subsidiaires doivent donc permettre de suppléer les insuffisances des méthodes traditionnelles peu opérante dans certaines circonstances.

L'OCDE propose deux méthodes transactionnelles de partage. Le partage porte soit directement sur le bénéfice, soit sur la marge nette dégagée.

§ 1 La méthode du partage des bénéfices

A Principe

Plus précisément, certaines transactions constituent économiquement une seule opération indivisible. En outre, cette approche permet de faire intervenir une pluralité d'entreprises intégrées. Tenter de valoriser directement, d'après une méthode traditionnelle, chaque transaction pour les comparer au prix de marché conduirait donc à une erreur dans l'approche qui doit être attachée au réalisme économique. Dans ce contexte, des entreprises indépendantes auraient créé une structure juridique spécifique pour permettre à chaque associé de tirer un bénéfice qu'il attend légitimement de sa participation.

De manière plus concrète, la transaction est atypique et ne peut être comparée directement par référence à un prix de marché. Elle concerne un élément qu'un tiers ne peut distinguer du produit qui lui est offert. La plus-value apportée par l'entreprise cédante à la société cessionnaire du groupe est donc importante. Une entreprise indépendante n'aurait alors pas pu procéder à cette simple cession au prix du marché. Elle aurait tenté de participer plus directement au profit généré en constituant une association sur l'opération. Toute reconstitution d'un prix de marché est, dans cette configuration, peu pertinente au regard du principe de comparabilité. On doit donc s'attacher à déterminer la clef de répartition des profits que des parties indépendantes auraient négocié au vu des apports respectifs et des résultats envisagés.

Cette approche spécifique des prix de transferts est surtout employée a posteriori par les administrations fiscales. Certains contrôles ne peuvent aboutir par manque de comparabilité des méthodes traditionnelles ou par un défaut d'informations disponibles. C'est pourquoi il est souhaitable, pour les entreprises liées, d'envisager ce type d'analyse afin d'éviter une distorsion entre ses prix de cession internes et ceux reconstitués par les services nationaux.

Cette approche conduit à déterminer deux éléments essentiels dans les relations entre associés d'une société. En effet, les revenus redistribués sont fonction d'une part du bénéfice distribuable et d'autre part de la fraction sur laquelle un associé est rémunéré de ses apports.

1 Le bénéfice "distribuable"

Le bénéfice de référence n'est pas celui effectivement réalisé par chaque partenaire. Le bénéfice à déterminer est celui que les différentes entreprises intégrées pouvait planifié dès le début de l'opération. En effet dans ce genre de transaction, il n'y a pas distribution directe d'un bénéfice. Chaque partie détermine un prix de cession qui intègre un bénéfice qui se réalisera ou non. L'activité économique connaît des aléas que l'on ne peut maîtriser. Ils conduisent de manière circonstanciée soit à une majoration soit à une minoration du résultat réalisé sur les prévisions.

Pour cela, il faut donc se reporter aux éléments à la disposition des entreprises au moment de la négociation du contrat pour établir son caractère normal. Une administration fiscale qui se référerait à des éléments qui ne pouvaient être raisonnablement à la disposition des parties, commettrait une erreur méthodologique particulièrement dommageable. Une entreprise subissant une perte par rapport à son prévisionnel pourrait être sanctionnée fiscalement d'une déconvenue déjà subie économiquement. En ce qui concerne le caractère raisonnable des prévisions, il convient d'exclure non pas les seuls éléments qui pour une raison chronologique n'étaient pas à sa disposition, ce qui est du ressort du bon sens, mais il faut veiller à exiger des contribuables plus que les éléments qui leurs étaient accessibles. Cette analyse a posteriori est parfois lourde à tenir pour les administrations nationales car elles tendent à partir de tous les éléments à leur disposition à la date du contrôle. En outre, ces organes officiels ont des sources de renseignements très larges. Ce déséquilibre d'informations ne doit pas porter préjudice aux entreprises lors des contrôles fiscaux. C'est pourquoi le Comité des Affaires Fiscales insiste sur ce point.

Le bénéfice à partager est normalement le bénéfice d'exploitation. Cette méthode permet d'éliminer l'effet de distorsion des rendements au sein des entreprises liées. Les sociétés sont assimilées à des associés. Les considérés bénéfices réalisés lors de l'opération ne doivent donc pas souffrir d'inégalité dans leur distribution en raison de divergences de rentabilité au sein des entreprises. Par exception, il peut être procédé au partage du bénéfice brut. Une correction devra alors être mise en place au niveau du mode de répartition pour préserver les droits de chacun. À défaut, un transfert de bénéfice risque d'être caractérisé.

2 La répartition du bénéfice

L'OCDE donne en exemple un mode de répartition simple dans son principe dont le fondement repose l'équité provenant du droit commun en droit des sociétés. La répartition se fait au prorata des "apports". En l'espèce il n'y a pas d'apports stricto sensu mais les différentes fonctions tenues par les sociétés ont une valeur relative que l'on peut reprendre pour déterminer les droits respectifs. Dans la configuration où l'analyse des contributions des éléments apportés se confronte à une difficulté d'évaluation pécuniaire. Une évaluation de l'importance sectorielle peut être établie dans le processus économique objet de l'étude (services commerciaux, services administratifs, risques, dépenses de développement...). Un pourcentage intégrant l'importance de ces différentes fonctions sera établi.

L'analyse résiduelle est une option intéressante. La clef de répartition est déterminée en deux phases successives. Dans un premier temps, on distribue le revenu correspondant à une rétribution normale des prestations apportées par chacun. Ce revenu standard est évalué en comparaison avec les conditions de pleine concurrence. Il est difficile de déterminer les conditions pécuniaires sous lesquelles des entreprises indépendantes se seraient engagées lorsqu'il s'agit d'évaluer un actif de grande valeur détenu en copropriété par les parties.

Dans un second temps, le bénéfice résiduel (ou la perte), correspondant à la plus-value apportée par le caractère intimement lié des transactions, est partagé. La référence est encore la répartition qu'auraient convenue des entreprises indépendantes. Une répartition proposée est le rendement habituel des investissements nécessaires à la mise en oeuvre des transactions. Toute méthode pertinente eu égard aux circonstances peut être utilisée.

B Un champ d'application spécifique

L'emploi de ce type de méthode est subsidiaire des dites méthodes classiques. Elle permet également de mieux cerner la comparatibilité d'une dite méthode classique. Elle permet aussi de compléter un procédé encore imprécis.

À titre principal, cette méthode est justifiée par le caractère intimement lié des transactions ne permettant, par la simple voie de la comparaison avec un marché, de rétribuer la participation chaque partie à la plus-value résultant de la forte intégration de l'opération. Cette situation correspond à de multiples opérations. L'attrait de cette conception est de pouvoir dépasser la seule notion de transaction bilatérale pour pouvoir intégrer toutes les sociétés liées participant à une opération. La notion "d'affectio societatis" surmonte le caractère commutatif et purement bilatéral d'un contrat qui ne peut intégrer la notion d'investissement collectif ou d'aventure commerciale permettant d'optimiser le rendement d'une opération commerciale. En outre, la transaction peut conduire à une superposition d'éléments d'actifs incorporels (brevet, marque) qui ne permettent une évaluation directe sur un marché du produit fini. Le surplus de plus-value, en bout de chaîne, doit être imputé à chaque société du groupe de manière équitable au regard des principes de libre concurrence.

En revanche, cette méthode fait appel à la notion de marché pour déterminer le bénéfice à partager mais également la clef de répartition. Les opérateurs ne disposent pas toujours de marchés de référence. Les informations à la disposition des administrations fiscales sur les entreprises étrangères ne sont pas toujours suffisantes pour déterminer les éléments précités.

§ 2 La méthode transactionnelle de la marge nette

A principe

Cette méthode consiste à contrôler une transaction au sein d'un groupe sur la base de la marge nette qu'elle permet de dégager. La marge nette s'applique sur différentes bases appropriées comme les coûts, les ventes ou les actifs. On compare cette marge nette à celles que la société réalise lors de transactions comparables sur le marché libre. On détermine ces marges en application des principes décrits durant notre étude sur la méthode du prix de revient majoré, ainsi que sur la méthode du prix de revente. Cette marge devra être dégagée par observation d'une période suffisamment longue pour éviter d'étendre l'influence de fluctuation des prix à court terme.

La marge nette caractérisée soulève parfois un problème de cohérence. Le caractère unilatéral de l'examen définit une rentabilité nette sans éléments de comparaison permettant de pondérer les spécificités de l'entreprise alors qu'elle peut être fortement influencée par des facteurs qui ne se trouvent pas directement en rapport avec l'opération contrôlée. Ainsi une société peut justifier d'une rentabilité nette sans rapport avec le bénéfice dégagé par l'opération.

À défaut de comparaison probante, la marge que pratique une société indépendante peut constituer une indication utile. Une analyse fonctionnelle est nécessaire pour s'assurer de la comparabilité des transactions. Contrairement au prix ou à la marge brute, le recours à la marge nette reste une source d'incertitude sur la similitude. La structure du fonds de roulement, les économies d'échelles, la stratégie économique ou industrielle sont des éléments affectant directement la marge nette. Le Comité des Affaires Fiscales souligne la difficulté que peuvent connaître les sociétés pour collecter les renseignements nécessaires à la comparaison. Les administrations fiscales ne devront pas être trop exigeantes sur ce point.

B Un champ d'application spécifique

L'intérêt de cette méthode est d'amenuiser l'influence des variations des courts sur les prix de transfert. Cette stabilité permet aux sociétés liées de moins surveiller la fluctuation du marché dans des relations commerciales souvent stables.

L'approche est unilatérale ce qui permet de contourner certaines difficultés parfois insolubles. La marge nette permet d'éviter les correctifs comptables de catégorisation des coûts de production nécessaires dans la méthode du prix de revente. Aucune répartition des coûts n'est également à accomplir.

L'OCDE rappelle le caractère subsidiaire de cette méthode qui soulève de nombreuses difficultés pratiques de mise en oeuvre. Toutefois, elle permet en complément de contrôler ou d'affiner l'écart de pleine concurrence.

Section II : Les solutions spécifiques aux biens incorporels et aux prestations de services

En juin 1996 , l'OCDE complète les principes directeurs concernant les prix de transfert en matière de cession de biens incorporels et de fournitures de prestations de services. Non pas en raison que les règles ici applicables soient différentes mais par volonté d'éclairer les intervenants sur la manière d'aborder spécifiquement ces transactions.

En effet, la valorisation des prestations de services et des biens incorporels se confrontent souvent à des difficultés particulières. L'objet de la transaction est unique, on ne peut directement se reporter à un marché ou aux conditions habituellement offertes par le cédant à des entreprises indépendantes pour déterminer un prix de pleine concurrence.

Le Comité des Affaires Fiscales nous délivre donc des éléments nécessaires à la bonne application du principe comparaison. Nous examinerons successivement les solutions qui nous sont proposées d'abord en ce qui concerne les prestations de services puis en ce qui concerne les biens incorporels.

§ 1 Le principe de libre échange appliqué aux services intragroupe :

La société mère est souvent le centre de services administratifs et financiers se chargeant de ces fonctions pour les filiales. Une filiale peut également fournir certaines prestations de services. Les services techniques et commerciaux peuvent faire l'objet de transactions au sein d'un groupe. De telles conventions fournissent un prétexte parfait aux transferts de bénéfices. Un examen particulier doit donc porter sur l'utilité des prestations de services avant de déterminer l'écart du prix de pleine concurrence applicable.

A L'utilité de la prestation de service

Au préalable, la prestation doit avoir été rendue. Cette proposition peut paraître un truisme grossier. Mais, la facturation de certains services ne démontre leur effectivité. L'identification des effets d'une prétendue prestation n'est pas toujours évidente. De plus, la société bénéficiaire peut disposer des structures nécessaires à la fourniture des services. Ces éléments rendent ambiguës les transactions intragroupe en cette matière. Les sociétés doivent donc se réserver les éléments de preuve sur l'effectivité des prestations rendues.

L'utilité des prestations fournies se caractérise en fonction de leur intérêt économique.  Les opérateurs doivent s'attacher à déterminer si une entreprise indépendante aurait fait appel à des services internes ou à une entreprise extérieure pour répondre à un supposé besoin. Dans la négative, il ne s'agit pas d'un choix justifié par des motifs de gestion normale d'une entreprise indépendante. La divergence avec le modèle de rationalité économique réalisée sur le marché met l'opération hors du champ du libre échange. Il faut bien veiller à ne pas exclure de l'examen des circonstances, et parfois spécifiques aux échanges des entreprises intégrées, justifiant certains choix a priori peu orthodoxes. Ainsi, une société peut percevoir à une époque des perspectives d'activités la conduisant à des choix de développement ou à des stratégies qui a posteriori s'avèrent irrationnels.

Le Comité des Affaires Fiscales met en garde les parties de certaines pratiques qui constituent de manière évidente des transferts de bénéfices. Il s'agit des frais inhérents au siège de la société mère répercutés sur les filiales ou les établissements secondaires. De même, des prestations imposées et facturées par une société mère ne peuvent être rattachées à un cadre libre échangiste.

Les services ne doivent pas être rendus par une entreprise liée alors que la bénéficiaire assume déjà la charge des structures nécessaires pour assurer ces fonctions. Par exception, lorsqu'un groupe centralise certains services ce type de double emploi peut apparaître du moins de manière transitoire. Cette centralisation doit permettre de dégager un avantage pour les deux parties. Un dédoublement des services peut également se justifier par un niveau de compétence différencié (services commerciaux nationaux des filiales et service commercial international de la société mère).

L'appartenance même à un groupe aboutit parfois à l'octroi d'avantages dont la société n'aurait bénéficié sans son rattachement. Ainsi le renom d'un groupe donne souvent plus de poids auprès des investisseurs ; actionnaires et banques se montreront alors plus souples. Cet effet est indirect, il ne correspond à une prestation directement fournie. Elle ne peut être facturée sans constituer un transfert de bénéfice.

L'analyse devient beaucoup plus complexe lorsque la prestation est centralisée par une entreprise intégrée pour tout ou partie au groupe. Il s'agit en général d'une centralisation de la gestion administrative ou financière contre participation correspondant à une cote part de la prestation. L'approche précédente est toujours valable. Mais la difficulté est que les opérateurs doivent individuellement examiner chaque transaction.

B La détermination du prix :

La contrepartie de la prestation fournie est fixée selon les principes de libre échange. Les conditions entre un bénéficiaire et un prestataire indépendant doivent être repris. En principe, les transactions sont donc prises individuellement sans prendre en compte la notion de groupe. Cette configuration correspond à une facturation directe d'une prestation bien individualisée. Or, des prestations peuvent être centralisée pour plusieurs bénéficiaires sans que l'on puisse distinguer réellement le service rendu individuellement. Les groupes ont alors recours à une répartition des coûts par évaluation. Une clef de répartition pertinente permet de fixer le prix dû par chacun. Le choix de la clef de répartition doit pouvoir se justifier.

Le prix est rarement déterminable par comparaison directe avec un marché bien identifié. Eventuellement, une analyse fonctionnelle peut déterminer un ajustement permettant une comparaison en référence directe à un prix de pleine concurrence.

La prestation ne fait, en général, pas l'objet d'une nouvelle transaction envers une société indépendante. La méthode du prix de revient ne peut donc être utilisée pour déterminer une marge applicable à la transaction interne. La méthode traditionnelle des prix de revient majorés permet d'éviter cette impasse. La marge brute est déterminée en référence des conditions pratiquées par le prestataire pour les mêmes services fournis à des sociétés indépendantes. La référence aux marges brutes pratiquée habituellement entre sociétés indépendantes est possible. Certains éléments du contrat peuvent ne pas correspondre à l'identique aux services fournis sur le marché. Une analyse fonctionnelle est susceptible de déterminer un correctif. Sous réserve de la détermination d'une marge brute comparable avec les conditions du marché, cette méthode est la plus appropriée pour établir un prix de pleine concurrence pertinent.

§ 2 Le principe de libre échange appliqué aux cessions intragroupe de biens incorporels

Les biens incorporels peuvent être scindés en deux catégories. Il s'agit d'une part des biens incorporels manufacturiers. Il s'agit de droits d'exploitation exclusifs d'une invention ou d'un savoir-faire plus ou moins protégé (brevet ou simple savoir-faire non protégeable) mais également d'actifs constitués par élément de propriété intellectuelle (logiciel informatique). D'autre part, les biens incorporels de commercialisation constitués par les clientèles représentées par les marques ou des noms commerciaux. Elles constituent une valeur économique parfois forte. Nous examinerons successivement les difficultés soulevées dans la détermination des prix de transfert en la matière puis les éléments permettant une juste application des méthodes de comparativité.

A Les obstacles à la détermination des prix de cession intragroupe en matière de bien incorporel

Les éléments qui composent les biens incorporels manufacturiers sont le fruit d'une expérience ou de recherches longues et coûteuses leur donnant une valeur économique. La transaction sur ces éléments donne lieu à des opérations juridiques variées (cession de droit, licence d'utilisation) dont il est difficile de comparer la valeur sur un marché d'autant plus qu'ils tendent à constituer des monopoles d'exploitation bouleversant la simple loi de l'offre et de la demande. L'absence de concurrence autorisée tend à ne pas permettre de comparer directement à des biens incorporels fongibles. La valeur de ces biens est fonction de l'étendue de la protection offerte. La durée d'un brevet détermine la valeur de ce bien. Un nouveau développement du procédé peut proroger sa durée effective.

Les biens incorporels de distribution permettent de casser le caractère anonyme d'un bien commercialisé. Le bien a une identité reconnue par l'acheteur et n'est pas fongible avec les modèles proposés par la concurrence. L'image de marque ou par un nom commercial peut permettre d'effectuer de forte plus-value en comparaison avec des produits équivalents non reconnus par les consommateurs intermédiaires ou finaux (marque sur les vêtements). Elle augmente également le volume des ventes. L'avantage commercial qu'ils véhiculent leur donne donc une valeur importante. L'image résulte de nombreux éléments comme la qualité, l'innovation, un nom prestigieux, un effet de mode. Une marque pour se démarquer et se développer doit se lancer dans des actions de promotion souvent très onéreuses (sponsoring, publicité, mécénat). Le coût de gestion des marques fait souvent l'objet d'un partage entre sociétés liées bénéficiant de l'avantage. Le caractère unique, le rayonnement spécifique, des marques et la variété des transactions les concernant démontre la difficulté d'évaluer un prix de libre concurrence. 

Un autre obstacle est du caractère mixte de certains biens incorporels. Un procédé de fabrication ou un savoir-faire reconnu peut conduire à une reconnaissance des acheteurs lui donnant également un caractère de bien incorporel commercial susceptible de leur survivre. Dans l'autre sens, un bien incorporel commercial peut également véhiculer à un stade de son développement un savoir-faire constituant un bien incorporel manufacturier (Mac Donald avec ses procédés de fabrication).

Les opérateurs doivent appréhender ces différents éléments pour évaluer un prix de cession cohérent.

B Les méthodes applicables aux cessions de biens incorporels

Les méthodes énoncées précédemment sont applicables. L'appréciation s'attache donc à donner le prix de libre concurrence correspond à une négociation entre entreprises indépendantes. Mais la spécificité de l'objet des transactions rend leur application délicate.

1 Les éléments spécifiques d'appréciation :

Les éléments déterminants dans l'évaluation du prix de pleine concurrence doivent être discernés au cas par cas, en fonction des avantages attendus. Ainsi la durée de la protection est un élément essentiel de la valeur d'un brevet. Cette proposition doit être nuancé car certains industriels prorogent la durée de la protection par le dépôt de nouveaux brevets en prolongement du brevet initial. Le brevet pourra également bénéficier d'un renom tel qu'il aura le caractère d'un bien incorporel de commercialisation. De même, la zone géographique d'utilisation détermine un marché potentiel en directe relation les conditions pécuniaires de la transaction. L'existence d'un produit concurrent peut amenuiser l'intérêt économique d'un brevet.

Les biens incorporels de commercialisation offrent une protection plus ou moins grande en fonction des législations nationales. Les zones géographiques couvertes ont un caractère déterminant. La nature des droits cédés influence la valeur. La cession définitive d'un droit aura une valeur beaucoup plus importante qu'une simple licence non exclusive.

Les opérateurs doivent discerner les éléments essentiels qu'ils retiendront pour l'appliquer à la méthode adéquate.

2 Les méthodes d'évaluation du prix de pleine concurrence :

L'OCDE donne la priorité aux méthodes traditionnelles pour déterminer l'écart de prix correspondant au prix qu'aurait pratiqué des sociétés indépendantes. Cependant, plus le bien incorporel objet de la transaction permet d'effacer l'accès de concurrents moins un marché de référence est identifiable. D'autant plus que ce genre de négociations restent relativement confidentielles. La méthode du prix comparable du marché est donc peu usitée lorsque la valeur du bien est importante.

La méthode du prix de revente peut être d'une application pertinente lorsqu'il s'agit d'une transaction portant sur une licence non exclusive d'un droit de commercialisation. Le cessionnaire peut être assimilé à un négociant. La marge retranchable du prix de revente est aisément déterminable ne manquant en général d'éléments comparaisons. En revanche s'il y a cession d'un savoir-faire pour produire un bien. Il sera difficile de déterminer la part de la marge du produit final relevant de l'utilisation du bien incorporel.

La méthode du prix de revient majoré prend ici une place particulièrement intéressante car la référence de la marge brute effectuée par la société cédante peut être assez facilement identifiable lorsqu'elle précède au même type de transactions avec des sociétés indépendantes. Les difficultés de comparaison soulevées précédemment sont ainsi contournées.

Lorsqu'une transaction comprend une redevance contribuant à la promotion du bien incorporel de commercialisation ou au développement et à la recherche de nouvelles productions. La participation demandée est alors fortement liée à la transaction de base. La méthode de transaction du bénéfice peut être particulièrement adaptée.

Les méthodes ne faisant appel à une comparaison directe sur un marché seront donc préférées en matière de transaction de bien incorporels. Toutefois, on doit au préalable vérifier l'impossibilité d'identifier un marché comparable avant de procéder au choix d'une méthode adéquate.

Les dépenses de développement et de recherche font actuellement l'objet de la rédaction d'un texte par le Comité des Affaires Fiscales. Le principe essentiel sera identique : la comparaison avec les conditions auxquelles des entreprises auraient négocié la transaction. Cette nouvelle partie du classeur nous éclairera sur les difficultés spécifiques d'identification du prix de libre échange.

TITRE II : 

LES PRIX DE TRANSFERT EN DROIT FRANÇAIS ET LES PROBLÈMES SPÉCIFIQUES DE COMPATIBILITÉ AVEC DES NOTIONS DE L'ORDRE JURIDIQUE INTERNE

Le droit français a une approche spécifique de la notion de prix de transfert. Cette conception soulève certaines difficultés d'agencement avec des notions de droit fiscal concurrentes.

Chapitre I : Les prix de transfert en droit positif français

Chapitre II : Les notions d'intérêt du groupe et d'acte anormal de gestion en matières des prix de cession interne

Chapitre I 

Les prix de transfert en droit positif français

L'article 57 du CGI (code général des impôts) régit les situations de transfert de bénéfice entre entreprises structurées lors d'une cession internationale. Il constitue le régime de droit commun s'appliquant hors conventions fiscales liant deux pays. En général, les régimes conventionnels reprennent les principes édictés par ce texte[1]. D'ailleurs, l'administration donne aux accords bilatéraux en la matière les mêmes principes d'interprétation[2] que pour les situations directement régies par le Code général des impôts.

C'est pourquoi nous nous attacherons au seul régime de droit commun. Nous analyserons le texte lui-même et les interprétations données par l'administration fiscale ainsi que par la jurisprudence.

Section I L'article 57 du Code Général des Impôts :

Nous commencerons par commenter l'article 57 du CGI avant d'examiner l'interprétation donnée par les textes administratifs.

§ 1 L'article 57 du CGI :

A Un texte aux contours mouvants

Le code général des impôts ne définit pas directement la notion de prix de transferts. Ce n'est qu'incidemment que nous pouvons approcher la conception légale du transfert de bénéfice. Pour cela il procède l'article 57 CGI en deux temps. D'une part, il énonce les moyens permettant de procéder aux transferts de bénéfices. D'autre part, il nous propose subsidiairement un critère synthétique nous permettant de caractériser le transfert de bénéfice. Nous examinerons successivement ces deux phases complémentaires.

1 Le critère des moyens

La majoration et la diminution du prix sont expressément cités comme des moyens conduisant au transfert de bénéfice. Ledit transfert est du montant de la manipulation du prix constatée. Cette simplicité apparente doit toutefois être relativisée par la difficulté de mise en oeuvre. La majoration ou la diminution du prix peut être constatés selon différents critères. Aucun référentiel n'est donné pour évaluer le montant du bénéfice transféré. On pourrait partir de la simple différence constatée avec les prix pratiqués lors de ventes avec des entreprises indépendantes. De manière plus synthétique un prix de marché pourrait être pris en considération. Le législateur se garde de se prononcer sur ce point.

En outre, la difficulté d'analyse rejaillit lorsqu'on doit associer la notion de transfert de bénéfice avec l'insertion "tout autre moyen". Doit-on analyser tout les échanges intragroupe comme des transferts de bénéfice dès que le résultat fiscal s'en trouve affecté? En effet, une telle solution paraît difficile à agencer cette proposition avec les bases de fiscalité internationale française. L'article 209-9 CGI est marqué par le principe de territorialité stricte : la matière imposable au titre de l'impôt société est constituée par les bénéfices réalisés par les entreprises ou les établissements stables établis sur le territoire français. Ainsi un établissement secondaire d'une société française implanté à l'étranger ne sera pas soumis à la fiscalité française pour les bénéfices effectués hors de France. Et ce alors même qu'il s'agit de la même personne morale. Inversement une société étrangère sera redevable de l'IS en France pour les bénéfices dégagés sur le territoire national par un établissement stable. C'est pourquoi on doit donner une porté limitée à la faculté de réintégrer une partie du bénéfice réalisé sur un territoire fiscal tiers.

Il faut interpréter cette apparente imprécision comme une volonté du législateur de rédiger un texte souple permettant de contrôler une réalité économique très variée. Une définition trop cadrée aurait certainement laissé des failles juridiques dans lesquels des esprits malins auraient pu s'engouffrer sous la protection d'un texte se révélant alors pour eux protecteur.

2 Un critère synthétique

D'autre part, l'alinéa 3 du texte propose, à défaut d'éléments précis, de procéder par reconstitution du résultat de l'entreprise. L'on pourra déterminer les produits imposables par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement Le rendement moyen de l'activité sera appliqué au chiffre d'affaires réalisé. Cette méthode soulève quelques difficultés quant à sa comptabilité avec les principes OCDE.

C'est donc dans la mise en place de cette disposition par l'administration compétente que le contribuable doit rechercher la signification de cet article.

B Un régime compatible avec les principes OCDE

La première approche préconisée par l'article 57 CGI énonce les moyens pouvant entraîner des transferts de bénéfices. Ainsi l'analyse ne porte pas sur le résultat global d'un exercice. Le contrôle porte sur chaque opération prise individuellement. Le régime de base fait donc appel au principe de comparativité opération par opération. La méthode de comparaison préconisée est compatible avec la convention OCDE.

L'absence de référents légaux pour déterminer s'il y a eu transfert de bénéfice permet d'intégrer la notion de prix de libre concurrence sans difficulté majeure. La grande souplesse du texte rédigé par le législateur de 1933 prend ici tout son intérêt. L'article 57 CGI permet donc d'appliquer les méthodes préconisées par le Comité des Affaires fiscales de l'OCDE.

En revanche, la détermination de la base imposable en application du procédé subsidiaire de l'alinéa 3, peut induire quelques doutes sur son adéquation avec la convention 1977. En effet, la comparaison ne porte plus sur les opérations prises individuellement. Le référant est le résultat "des entreprises similaires exploitées normalement". Cette approche est assimilable à la pratique américaine du calcul des intervalles de profits comparables. De manière pratique, cette interrogation n'est pas opportune. Car d'une part cette méthode n'intervient qu'à titre subsidiaire. C'est à dire qu'elle est proposée lorsqu’aucun élément précis n'est à la disposition de l'administration fiscale. Dès que les contrôleurs peuvent individualiser les opérations, la comparaison différenciée plus ou moins performante nous semble possible. Cette disposition se contenterait donc de désigner le mode dévaluation forfaitaire en absence de réponse des contribuables sur la consistance des transactions entre entreprises liées sur une période donnée. Cette méthode est une source de sécurité juridique pour les groupes internationaux, car elle impose à l'administration un mode dévaluation forfaitaire des résultats alors même que le contribuable ferait preuve d'une imprécision ou d'une passivité fautive. D'autre part, la pratique démontre que cette méthode ne connaît que très peu d'application. En effet, les groupes internationaux sont rarement passifs lors des procédures de contrôle. D'ailleurs, on ne relève qu'une jurisprudence très ancienne reprenant en motivation légale cet alinéa[1]. Sans ignorer l'existence de cette disposition, il faut minorer sa place en droit positif français d'autant qu'elle intervient de manière infiniment subsidiaire. Cette méthode ne contrevient pas aux principes dégagés par l'OCDE dans la mesure où elle serait utilisée quand aucun élément ne permet l'application d'une méthode transactionnelle.

La relative liberté donnée par le législateur dans la détermination du prix de transfert permet d'intégrer les principes préconisés par l'OCDE.

§ 2 La doctrine de l'administration fiscale :

L'étude de la doctrine fiscale a un intérêt pratique important. D'une part, elle éclaire sur la manière dont l'administration compétente met en application les dispositions de l'article 57 CGI. Se conformer à cette approche permet aux redevables, imposables en France et liés à un groupe international, d'éviter un redressement pour transfert de bénéfices. Mais d'autre part l'administration est liée par les règles qu'elle édicte dans ses propres textes. Ainsi ces textes peuvent être opposés devant les tribunaux à l'administration par les contribuables.

A Le principe de normalité

La documentation de base 4 A 121, du 1er septembre 1993, relève "la diversité des transferts anormaux de bénéfices". L'apparition de l'adjectif anormal met en avant un élément essentiel de cette notion. Le transfert anormal n'est toutefois pas défini. Puis elle précise: le "transfert anormal de bénéfices à l'étranger ne relevant pas de la gestion normale de l'entreprise". C'est donc par rapport à une dite gestion normale de l'entreprise. . La doctrine administrative précise que l'anormalité doit se mesurer à partir des conditions octroyées à une entreprise indépendante[2] pour une transaction similaire. Puis elle donne quelques illustrations des moyens les plus communément employés susceptibles d'établir un transfert indirect. Il s'agit du versement de redevances excessives ou sans contrepartie, l'octroi de prêts sans intérêts ou à taux réduit, les remises de dettes ou de l'attribution d'un avantage hors proportion avec le service obtenu. De cette énumération ressort le caractère peu équitable des échanges cités. Il y aurait donc anormalité dès qu'il y aurait disproportion entre l'obligation fournie ou payée et sa contrepartie.

La doctrine précise qu'il est nécessaire de distinguer les prestations fournies par chacun et de tenir compte du contexte économique dans lequel l'échange a eu lieu. De même, il est recommandé de considérer l'ensemble des opérations commerciales y compris celles réalisées par la filiale. Lorsque les conditions de la transaction correspondent à des nécessités commerciales réelles il n'y aura pas de transfert de bénéfices. Dans ce sens, la documentation de base 4 A 1212, demande, en raison de l'intérêt économique du développement à l'étranger des entreprises française, aux services compétents d'apprécier de manière pas trop draconienne les dispositions de l'article 57 du CGI. Ainsi, doivent être pris en comptes "les conditions de fonctionnement commercial" des entreprises implantées à l'étranger. Les entreprises françaises exportatrices à des prix particulièrement favorables doivent pouvoir démontrer que ces opérations se justifient par un souci commercial et non de fuite fiscale.

Une documentation de base du 18 mai 1972[3], nous donne des précisions sur les marchés à prendre en compte. Elle précise la localisation des différents bénéfices résultant d'une cession intragroupe. Pour cela, elle distingue deux types de bénéfice lors de l'acquisition pour exportation par une filiale étrangère d'un bien produit par une société française. Il s'agit d'une part du bénéfice de fabrication correspondant à la plus value réalisée par l'entreprise ayant transformé le bien cédé. D'autre part, il s'agit du bénéfice de vente correspondant au bénéfice réalisé par la filiale étrangère après revente de biens acquis auprès de la société mère. Le bénéfice de fabrication doit être attribué à l'entreprise française puisqu'elle assure la fonction de producteur. Quant au bénéfice de commercialisation, il doit profiter à la filiale. La référence à l'analyse fonctionnelle est claire.

Ainsi peut-on s'interroger sur le degré de compatibilité de la doctrine administrative avec les principes énoncés par l'OCDE.

B Une adéquation avec les principes OCDE

La notion de normalité, sans faire directement appel au principe de pleine concurrence, s'en inspire fortement. En effet, qu'est-ce que la normalité dans le commerce sinon la référence aux conditions du marché.

En outre, c'est avec discernement que l'on applique le principe de libre concurrence après avoir épuré les divergences pouvant troubler la comparativité. L'examen des opérations se fait in concreto en prenant en compte toutes leurs spécificités. L'intégration de la spécificité de certains échanges intragroupe ou encore de certaines stratégies industrielles ou commerciales reprennent les dispositions des cahiers de l'OCDE.

De manière générale la doctrine administrative est en accord avec les principes énoncés par l'OCDE en matière de prix de transfert. Cette approche dépasse le prisme purement fiscaliste que l'on aurait pu donner à l'article 57 du CGI pour intégrer l'impulsion essentiellement économique dans la formation de groupes internationaux. Ce souci d'harmonisation avec les Etats tiers des principes dirigeants la taxation est fondamentale pour le développement du commerce international.

Section II : La jurisprudence

Le magistrat qualifie les faits mais surtout interprète les textes. La jurisprudence, dans la majeure du syllogisme juridique, dit le droit tel qu'il s'ordonnance en droit. Son étude nous permet de délimiter le droit positif. Mais au-delà d'une règle abstraite on doit également connaître de l'application du principe de manière concrète.

A Principe général dégagé par la jurisprudence

La jurisprudence motive ses décisions en constatant la présence de transferts de bénéfices. Dans d'autres arrêts, le Conseil d'Etat se fonde sur la présence de transactions contraires à la gestion normale de l'entreprise. Toutefois, il ne préconise pas expressément de méthodes de comparaison. En fait, il opère par faisceaux d'indices mettant en évidence la présence d'un transfert de bénéfices.

Pour caractériser un déséquilibre dans les conditions contractuelles la jurisprudence cite dans les critères pertinents les méthodes OCDE[1]. Mais on ne peut considérer que les considérés comme les uniques éléments à prendre en compte. On doit donc les utiliser sans trop majorer leur importance. Un examen concret de la jurisprudence pour appréhender l'esprit avec lequel les tribunaux appliquent cette notion.

B Illustration jurisprudentielle

Nous examinerons l'application que font, dans différents domaines, les tribunaux de l'article 57 CGI.

1 Cession à prix majoré ou minoré

Il s'agit du cas de figure le plus simple. La jurisprudence bénéficie de différents éléments textuels tant sur le plan national qu'international. Elle s'appuie sur l'article 57 CGI et constate l'existence d'avantages résultant de la vente de produits à des prix sensiblement inférieurs à ceux pratiqués sur le marché à une filiale. De même, la majoration des prix à l'importation est symptomatique d'une transaction constituant un transfert de bénéfices[2]

Mais encore le marché de référence doit être bien identifié[3]. La jurisprudence s'applique à contrôler la pertinence des éléments de comparaison proposés[4]. Une politique de soutien d'une filiale en difficulté ou une politique de conquête de marché peut justifier des transactions en dehors des conditions normales. La société redressée peut apporter la preuve que le prix pratiqué correspond à des frais de distribution spécifiques[5].

Le contrôle peut non pas s'appuyer sur un prix de marché mais sur la marge habituelle pratiquée avec des entreprises indépendantes. L'entreprise peut établir que la marge pratiquée résulte de la nature différente des interventions fournies[6].

La jurisprudence est très sensible à la pratique des cessions par filiales interposées. En effet, on peut légitimement s'interroger sur l'intérêt économique de l'ajout d'un intermédiaire. A fortiori, lorsque l'intermédiaire est établi dans un pays à fiscalité privilégiée. L'entreprise devra alors justifier des contreparties correspondant au surplus de prix[7].

2 Les prestations de service

La jurisprudence considère la rémunération des prestations de services comme constitutive d'un transfert de bénéfices lorsqu'elle ne correspond pas à la contrepartie normale de la prestation fournie. Le transfert peut être caractérisé selon différentes modalités. Une société étrangère surfacture une prestation. La société française sous-facture ou ne facture pas une prestation. Une facturation fictive constitue, en concurrence avec la notion d'abus de droit, un transfert de bénéfices.

La jurisprudence s'attache donc à bien circonscrire les circonstances des conventions portant sur des prestations de services pour rechercher si l'opération contrôlée est justifiée par une gestion commerciale normale de la société française.

3 Les transactions relatives aux biens incorporels

Nous avons déjà évoqué la difficulté à déterminer le prix de pleine concurrence des biens incorporels. Nous retrouvons donc les pratiques décrites en matière de prestations de services. C'est donc d'une de manière casuelle qu'il faut analyser la normalité des redevances dues en en contrepartie de l'avantage procuré par le bien incorporel.

Sont qualifiées d'anormales les redevances versées par une filiale française à une société mère étrangère en contrepartie d'un savoir faire et d'une marque lorsque ces éléments ne sont pas nécessaire son activité . La filiale n'avait justifié qu'elle n'aurait pas pu pénétrer le marché français sans cette aide[8]. Il faut donc bien identifier l'avantage procuré par le bien incorporel. Ainsi, une redevance de 5 % du chiffre d'affaires n'est pas considérée comme excessif lorsqu'il s'agit d'exploiter sur une marque un brevet. En revanche, elle ne se justifie pas lorsque la filiale française n'exploite pas le brevet mais n'effectue que le montage d'un matériel importé[9].

4 Les relations financières au sein d'un groupe

Les transactions financières doivent faire l'objet d'une attention particulière car elles couvrent souvent des opérations qui seront qualifiées de transfert de bénéfice.

Les prêts sans intérêts forment un exemple particulièrement flagrant. Ce genre de service est logiquement rémunéré. L'administration sera donc amenée à redresser ce genre d'opération sur le fondement de l'article 57 CGI[10]. Cette pratique est d'autant moins compatible avec les intérêts de la société française que la bénéficiaire est la société mère.

En revanche, l'entreprise peut justifier d'un intérêt de l'opération en raison de conditions contractuelles particulières rattachables à l'ensemble des opérations effectuées avec sa filiale ou encore qu'elle correspond à une gestion commerciale normale[11]. De même, le fait de cautionner gracieusement une filiale connaissant des difficultés commerciales lourdes se justifie si le dépôt de bilan aurait conduit la société mère à d'importantes pertes financières. Tel peut être le cas lorsque la responsabilité des associés n'est pas limitée. La solution de droit est identique en cas de minoration du taux d'intérêt pratiqué en comparaison avec les taux applicables.

Le taux d'intérêt de référence est celui qu'aurait pratiqué une entreprise indépendante. De manière plus précise, une réponse ministérielle[12] propose comme éléments de comparaison : le taux moyen des intérêts des avances sur titre pratiqués par la banque de France ou éventuellement le taux payé par l'entreprise créancière pour les sommes personnellement l'empruntées. Le choix du taux de référence reste libre et peut conduire à discussion.

Les pertes de changes sont propices à des transferts de bénéfices. Il est préférable de bien identifier la société devant supporter cette charge. Le transfert de la perte de change à une société française groupe peut s'expliquer comme une contrepartie normale de relations financières complexes[13]. De même la cession par une filiale française de titres à prix minorés à la société mère laisse peser une présomption de transfert de bénéfices[14]au profit de cette dernière.

5 Cautions données à titre gracieux

La pratique du cautionnement à titre gracieux entre sociétés d'un groupe ne correspond de manière évidente aux pratiques du commerce international entre sociétés indépendantes[1]. La jurisprudence présume ce type de transactions comme constituant un transfert de bénéfices. Toutefois que la société garante peut trouver une contrepartie par un développement important des ventes à la filiale. La recherche de débouchés par la société mère disqualifiera alors le tout transfert de bénéfice[2].

Une argumentation intéressante a été développée par un contribuable pour justifier une caution à titre gracieuse. La société mère arguait que cette opération lui permettait de valoriser ses titres de participation sur sa filiale d'une part. Et d'autre part, le fait ne pas recevoir de rétribution en contrepartie de sa garantie permet d'augmenter le résultat de sa filiale. Les dividendes distribués étaient donc augmentés. Le Conseil d'Etat très logiquement réfute cette argumentation[3]. En effet à tout transfert de bénéfice correspond une augmentation du résultat du bénéficiaire. Accepter ce raisonnement aurait vidé de sens l'article 57 du CGI.

6 Abandons de créances

Les abandons de créances sont soumis aux mêmes conditions que le cautionnement. Les Tribunaux auront tendance à considérer ce genre d'opérations comme constitutifs d'un transfert de bénéfices. Toutefois, dès que l'abandon sera conforme à l'intérêt du renonçant, la société française pourra se défaire de la présomption de transfert de bénéfices. Il peut également s'agir d'un paiement en compensation d'un bien ou d'un service commercial[4].

7 La participation aux frais d'exploitation de filiales

Certains groupes créent des sociétés qui ont la charge de fournir certaines prestations à l'ensemble des sociétés liées. La difficulté est de déterminer la juste participation de chaque entité du groupe aux frais de fonctionnement de l'entreprise qui au demeurant ne pratique aucune transaction hors de cette sphère. À défaut, de méthode pouvant s'appuyer sur un prix de marché le Conseil d'Etat admet [5]une répartition des charges forfaitaire. Dans ce cadre, une répartition des frais en fonction du chiffre d'affaires des sociétés du groupe peut être envisagée[6].

Chapitre II 

Les notions d'intérêt du groupe et d'acte anormal de gestion en matière de prix de cessions internes

Jurisprudences de soulèvent des difficultés d'interprétation. D'une part, la possibilité pour une entreprise de pouvoir procéder à des transactions à des conditions préférentielles à une autre société du groupe laisse à supposer qu'il existerait un intérêt de groupe justifiant cette pratique. D'autre part, la jurisprudence reprend à plusieurs reprises une motivation légale basée sur l'acte anormal de gestion. Ce type de motivation conduit à se poser le problème d'une assimilation en droit positif de la notion d'acte anormal de gestion et de prix de transfert. Nous examinerons successivement ces deux questions.

Section I : L'intégration de la notion d'intérêt de groupe en droit positif français

La gestion des dirigeants met en relief une tendance à favoriser dans leurs stratégies le développement du groupe. Économiquement parlant, le groupe est une réalité en concurrence avec l'intérêt des entreprises du groupe pris individuellement. La jurisprudence a admis des relations que certains auteurs considèrent comme l'apparition d'un intérêt de groupe en droit interne. Certains justiciables ont cru pouvoir transposer ces solutions pour les groupes internationaux.

Section I : Vers une notion d'intérêt de groupe

Cette approche pourrait justifier des solutions en droit incompatibles avec le régime institué par l'article 57 du CGI. En effet, le déplacement de l'appréciation de la notion d'intérêt à l'échelle du groupe pourrait justifier des transactions contraires aux intérêts de certaines sociétés d'un groupe. La territorialité de l'impôt peut s'en trouver bouleverser.

§ 1 : L'émergence de la notion d'intérêt de groupe

La notion de groupe est une notion émergente en droit français. Le droit du travail en fait une application récente en créant des organes de représentation du personnel à l'échelle des groupes. Certaines décisions ont pu être interprétées comme l'intégration de cette notion en droit fiscal.

L'examen de ces jurisprudences démontre d'une part que ces aides ne sont admises que dans un sens. La société mère accorde à une filiale une aide afin de permettre la survie de la société aidée. Ces aides peuvent être commerciales ou financières[1]. D'autre part, la société mère trouve un intérêt direct dans cette opération. Il peut s'agir de se préserver des débouchés[2] ou un renom[3].

En ce qui concerne les filiales, le paravent de l'écran juridique conduit à bien distinguer l'affectio societatis des associés de celui de la société mère. Cette solution est juridiquement cohérente avec les principes de base du droit des sociétés mais également avec les principes du droit fiscal.

C'est pourquoi, certains auteurs ne souhaitent pas que la jurisprudence aille plus loin vers une direction peu conforme avec les fondements de notre ordre juridique[4]. Toutefois, le souci de réalisme économique les a conduits à souhaiter l'intervention du législateur dans l'aménagement de régimes dérogatoires.

§ 2 Les régimes légaux d'exception

Le législateur a appréhendé les difficultés soulevées par l'incompatibilité de la notion d'intérêt de groupe avec les principes de droit fiscal. Il est intervenu en instituant des régimes d'exceptions permettant les remontés du résultat des filiales étrangères sur les sociétés mères situées en France. On contourne donc la difficulté juridique de l'intégration de la notion d'intérêt de groupe. Car le résultat de l'ensemble du groupe remonte en France et la notion de transfert de bénéfice n'a plus d'intérêt fiscal.

Ces régimes sont soumis à agrément. Il s'agit d'une part du régime du bénéfice du régime consolidé et d'autre part du régime du bénéfice mondial.

A Le régime du bénéfice consolidé

Sous agrément du ministère de l'Économie et des Finances, les sociétés qui détiennent, sauf dérogations, au moins 50 % des droits de vote de sociétés étrangères peuvent bénéficier de faculté de remonter, au prorata de leur détention, la cote part des résultats des sociétés étrangères. Ce régime connaît très peu d'application. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'effet d'une remonté partielle des résultats quant à l'exclusion des problèmes soulevés par les transferts de bénéfices.

B Le régime du bénéfice mondial

Sous la même condition d'agrément la société mère française peut bénéficier d'un régime qui lui permet de remonter l'ensemble des résultats réalisé par ses filiales étrangères. Ce régime est accordé à un plus grand nombre de groupes industriels français[5]. Ce caractère confidentiel conduit certains groupe à faire appel un régime dérogatoire plus ouvert.

Section II : La place de l'acte anormal de gestion en matière de prix de transfert

La notion de normalité des prix de transfert peut laisser à supposer que l'article 57 du CGI n'est qu'une application spécifique de la théorie de l'acte anormal de gestion[6]. Mais un examen des notions nous évitera une confusion.

§ 1 les points de convergence

Les transactions internationales, comme toutes transactions, sont soumises au contrôle de la normalité de l'acte de gestion[7]. Ce contrôle porte sur les conditions notamment des transactions. Son champ d'application se superpose donc à celui des prix de transfert.

La théorie de l'acte anormal de gestion s'appuie sur l'idée qu'une transaction commerciale entre entreprises implique l'existence de contreparties équilibrées[8]. En effet, l'activité professionnelle suppose des échanges contractuels à titre onéreux. Une disproportion dans les contreparties reçues respectivement par chaque partie ne peut être justifiée par des motifs d'ordre économique. Dès qu'un déséquilibre est constaté l'échange sera dit fiscalement anormal. On procédera alors à une réintégration au résultat fiscal des dépenses exposées par la société n'ayant respecté son intérêt commercial.

La comparaison de cette théorie avec la notion de prix de transfert met en relief des isomorphismes flagrants. L'article 57 CGI sanctionne des transferts de bénéfices c'est à dire une minoration du résultat fiscal. Il résulte d'un avantage accordé à une filiale. Cette condition préférentielle ne se justifie pas toujours par des motifs d'ordre commerciaux. La jurisprudence caractérise le transfert de bénéfice par des transactions qu'elle qualifie "de disproportion", "de déséquilibre" ou directement "d'acte anormal de gestion[9]". Ainsi, il s'agirait d'une modalité spécifique de la notion d'acte anormal de gestion. Son champ d'application serait réduit aux échanges au sein des groupes internationaux. Son régime perdrait alors toute autonomie[10].

Cette analyse parait d'autant plus solide qu'une étude de la jurisprudence, en particulier en matière des aides financières au sein d'un groupe, laisse apparaître une confusion des concepts[11]

§ 2 La spécificité de la notion de prix de transfert

Monsieur le Commissaire du gouvernement Fouquet considère que l'on ne peut assimiler le régime des transferts de bénéfice aux actes anormaux de gestion. La preuve de l'acte anormal de gestion ne porte pas sur la simple minoration ou majoration du prix. L'élément intentionnel doit également être apporté. Alors qu'une simple erreur de gestion expliquant l'anormalité du prix n'exonère pas le contribuable d'un redressement basé sur l'Article 57 du CGI[12].

En outre, la rédaction de l'article 57 du CGI ne cite à aucun moment la notion d'acte anormal de gestion. L'élément fondamental est la présence ou non d'un transfert de bénéfice associé à un lien de fait ou de droit entre les deux entreprises parties à la transaction. C'est dans la caractérisation du transfert de bénéfice que la jurisprudence use de formules prêtant à confusion avec les actes anormaux de gestion. Pourtant, il faut les distinguer. D'ailleurs, la jurisprudence s'est toujours refusée à utiliser les critères OCDE pour déterminer la normalité des prix de cession entre deux entreprises françaises[13].

Ces deux institutions peuvent jouer un rôle concurrent sur une transaction internationale. L'administration fiscale en usera par un choix stratégique pour motiver ses redressements. Si ces deux notions se chevauchent, elles sont plus complémentaires que concurrentes. Par exemple, des jurisprudences s'appuient sur la théorie des actes anormaux de gestion alors que les prix de transfert étaient potentiellement applicables. Il s'agit en général de transactions entre sociétés liées dont l'une à son siège d'activité dans un pays considéré par l'administration fiscale comme fiscalement privilégié. Toutefois la charge delà preuve d'une fiscalité privilégiée est parfois lourde. L'administration fiscale préférera alors s'appuyer sur la notion d'acte anormal de gestion. Il en sera de même lorsque aucun lien entre deux sociétés d'un ne peut être établi par l'administration fiscale. Mais, l'article 57 du CGI reste souvent beaucoup plus facile à manipuler que la notion d'acte anormal de gestion pour les contrôleurs. La présomption dont ils bénéficient leur permet un travail efficace qui laisse toutefois aux contribuables la possibilité de justifier de l'intérêt des opérations pour les sociétés françaises.

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[1] CE, 11 février 1994, RJF 04/94, n° 396 ou DF 1994, n° 21-22 p 911. Le Conseil d'Etat censure une décision de la Cour Administrative d'Appel du 10 juillet 1990 qui conformément à la solution de l'époque distinguait entre aides commerciales autorisées et aides financières prohibées. Les aides financières étaient fiscalement plus drastiquement admises. Le simple fait d'apurer les résultats ne suffisait à établir un intérêt personnel pour la société mère. Il s'agit donc d'un arrêt de principe fondammental dans les rapports entre sociétés d'un groupe. Cette solution est particulièrement fondée dans la mesure où l'aide accordée a les même conséquences financières pour les entreprises

[2] CE, 09 octobre 1991, RJF 11/91, n°1355

[3] CE, 11 février 1994, RJF 04/94, n° 396 ou DF 1994, n° 21-22 p 911. 

[4] Maurice Cozian, Les transations intragroupe : le principe des transactions à prix normal, BF 3/96, Chronique, p 110
Conclusion de Monsieur le Commissaire du Gouvernement publiées dans DF 1983, n° 10, CE, 26 juillet 1982, Commentaire 378. "s'il apparait souhaitable de prendre davantage en considération la réalité économique que constituent les "groupes" de sociétés, c'est au législateur qu'il appartient de le faire en définissant avec précision les conséquences, notamment fiscales, qui doivent en découler."

[5] Cogema, Lafarge- Coppée, Elf, Rhone-Poulenc, Saint Gobain, Thomson, Total...

[6]Pierre-Jean DOUVIER, Une nouvelle bataille économique : les prix de transfert, (les principes directeurs de juillet 1995), BF n°12/95, 1995, p 666, n°43

[7] Maurice Cozian, Les transations intragroupe : le principe des transactions à prix normal, BF 3/96, Chronique, p 110

[8] Cf Article 39.1 CGI

[9]  CAA Paris, 26 mars 1991, n° 89-2624, DF 1992, n° 4, commentaire 63
TA Lyon, 25 avril 1990, n°86-9508 et 86-10150, DF 1991, n° 12 , commentaire 619

[10] RJF 10/88, Chronique, p 581

[11] CE, 11 février 1994, DF 1994 n°21-22, commentaire n° 1046
CE, 27 novembre 1981, RJF 1/82, p 8
Guy Gest et Gilbert Tixier, Droit Fiscal International, Éd PUF, Coll Fondamental, Droit Financier, p 516

[12] CE, 21 février 1990, req n° 84.483, DF 1990, n° 27, commentaire n° 1305, p 918

[13] CE, 11 juillet 1983, req n° 40-890 40-893, DF 1984, n°48, commentaire 2107

[1] CE, 09 mars 1979, Pleinière, RJF, 04/79, n° 193

[2] CE, 03 mars 1989, RJF 05/89, n° 538, p275

[3] CE, 17 février 1992, RJF 04/92, n° 433 et DF 1992, n° 52, commentaire 2458

[4] CE, 14 mars 1984, RJF, 05/84, n° 593

[5] CE, 08 mai 1944, RO 22e volume, p 96

[6] CE, 25 avril 1960, RO, p 60

[1] TA Lyon 25 avril 1990, n°86-9508, RJF 11/91, n° 1347 ou DF 1991, n° 12, commentaire 619

[2] TA Lyon 25 avril 1990, n°86-9508, RJF 11/91, n° 1347 ou DF 1991, n° 12, commentaire 619

En l'espèce, une société pharmaceutique britanique avait fait transiter sa production revendue à une filiale française par une société située aux Bermudes en multipliant par 9 le prix. Cet exemple est particulièrement flagrant ou que ce soit en ce qui concerne le prix ou que ce soit le contexte de l'opération.

[3] CAA Nancy, 26 janvier 1995, RJF 06/95, n° 712. En l'occurence, le contrôleur avait pris en référence le marché nationanl alors qu'il s'agissait d'une transaction à l'exportation.

[4] CE, 28 septembre 1988, n°60-805, RJF 11/88, n° 1254

En l'espèce, un marchant de tableaux fournissait une grande quantité de toiles à une société américaine, liée. Les conditions du marché new-yorkais et le volume des échanges ne permettait une comparaison avec les conditions pratiquées à Paris que proposait l'administration fiscale.

[5] CE, 15 janvier 1992, RJF 03/92, n° 314

[6] CE, 31 juillet 1992, RJF 11/92, n° 1468

[7] CAA Nancy, 11 mars 1993, RJF 06/93, n° 805

[8] CE, 25 janvier 1989, RJF 12/89, n° 1413

[9] CE, 25 octobre 1989, RJF 12/89, n° 1413

[10] CE 26 novembre 1982, RJF 1/83, n° 16

[11] CE, 02 juin 1982, RJF 07/82, n°637

[12] Réponse ministérielle, AN 31 décembre 1960, p 4758, n° 7386

[13] CAA Bordeaux, 04 juillet 1996, DF 1996, n° 45-46

[14] CAA Paris, 8 juillet 1997, RJF 1998, n° 24, p 786

[1] CE, 23 mars 1953, n° 75 326, RO p 266

[2] Documentation de base 4A 1213 du 1er septembre 1993, n° 3
Documentation de base 4A 1211 du 1er septembre 1993, n° 17

[3] BO 4A-6-72 

[1] CAA Nancy, 06 juillet 1995, req n° 92-110 et 92-272, DF 1996 n°3, commentaire 27
Le commentateur reprend la motivation en droit de l'arrêt qui implicitement considère que la convention fiscale franco-allemande du 21juillet 1959 autorise l'application de l'article 57 du CGI par la France. Cette solution était préconisée dans les conclusions de Monsieur le Commissaire du Gouvernement B. Commenville. Dans le même sens : CE, 14 mars 1984, n° 34 430 et 36 880, DF 1984, n° 45-46, commentaire 1946

[2] Voir documentation de base 4 A 1213 du 1er septembre 1993 n°6

[1] OCDE, Les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert, Juillet 1995, p II.10, n°2.26

[1] Pierre-Jean Douvier, Une nouvelle bataille économique : les prix de transfert, (les principes directeurs de juillet 1995), BF 12/95, Chronique, p 668

[2] Paradis fiscaux et opérations internationales, Éd Francis Lefebvre, Col Études pratiques mise à jour 1ier juin 1997, n°3524, p423

[1] OCDE, Les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert, Juillet 1995, p I.30, n°1.68

[1] OCDE, Principes OCDE applicables en matère de prix de transfert, Éd OCDE, juillet 1995, p III.1, n°3.1

[2] Bruno Gouthière, Les entreprises (suite) : les entreprises française face à l'administration fiscale américaine, BF 7/92, Études, p 455 et s

[3] OCDE, Principes OCDE applicables en matère de prix de transfert, Éd OCDE, juillet 1995, p 5, n°14

[4] OCDE, Principes OCDE applicables en matère de prix de transfert, Éd OCDE, juillet 1995, p I.19, n°1.42

[1] Paradis fiscaux et opérations internationales, Éd Francis Lefebvre, Col Études pratiques, mise à jour 1er juin 1997, n°3523, p422
Pierre-Jean Douvier, Une nouvelle bataille économique : les prix de transfert, (les principes directeurs de juillet 1995), BF12/95, Chronique, p 666

[2] OCDE, Les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert, Juillet 1995, p I.12

[3] OCDE, Les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert, Juillet 1995, p I.16. Cet argument est particulièrement intéressant car il permet de se dégager de requalifications parfois trop fermées sur une pratique fiscale nationale alors que l'objet de la notion est internationale.

[4] L'exemple donné est significatif. Il s'agit du renforcement des quasi fonds propres par l'obtention d'un crédit auprès d'une entreprise associée sous les conditions du marché alors que la situation de la débitrice ne permet l'obtention d'un quelconque crédit. Les administrations sont fondées à considérer l'opération comme constituant une augmentation.

[5] OCDE, Les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert, Juillet 1995, p I.17. L'exemple cité est un contrat longue durée de transfert d'un droit illimité sur des droits de propriétés intellectuelles de recherches futures à un prix forfaitaire. On remarque le caractère aléatoire de ce contrat ainsi que le montant fixe de la somme payée en contrepartie. Des sociétés indépendantes ne se lieraient par un tel contrat trop périlleux pour l'acquéreur. Le prix de transfert ne pourra être établi que par comparaison avec les accords permanents de recherche.

[1] OCDE, Les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert, Juillet 1995

[2] OCDE, Les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert, Juillet 1995, p I.20

[1] Pierre-Jean DOUVIER, Une nouvelle bataille économique : les prix de transfert, (les principes directeurs de juillet 1995), BF n°12/95, 1995, p 666

[2] Bruno Gouthière, "prix de transfert (suite) : les entreprises face à l'administration fiscale américaine", BF 7/92, Etude, p 455. L'auteur cite l'article 8.1 de la Convention franco- américaine du 28 juillet 1967 comme compatible avec les principes OCDE malgré des divergences d'application de l'administration américaine. L'article 8.1 : Lorsqu'un résident contractant et un résident de l'autre État contractant sont en relation et que ces personnes sont liées par des conditions acceptées ou imposées qui diffèrent de celles qui seraient conclues entre personnes indépendantes, les revenus qui sans ces conditions, auraient été obtenus par le résident du premier État contractant, mais n'ont pu l'être à cause de ces conditions, peuvent, pour l'application de la présente convention, être inclus dans les revenus du résident du premier Etat contractant et être imposés en conséquence.

[1] OCDE, Prix de transfert et entreprises multinationales, Paris, 1979
OCDE, Prix de transfert et entreprises multinationales, Trois études, Paris, 1984

 

[2] Paradis fiscaux et opérations internationales, Éd Francis Lefebvre, n°3539, p 426

[1] Les membres sont les pays suivants : l'Allemagne, l'Australie, l'Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l'Espagne, Les États Unis, la Finlande, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Islande, l'Italie, le Japon, le Luxembourg, le Mexique,  la Norvège, la Nouvelle Zélande, les Pays Bas, le Portugal, le Royaume Uni, la Suède, la Suisse et la Turquie. La CEE participe aux travaux de cette organisation. Les pays européens sont particulièrement engagés dans cette organisation.